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11 décembre 2015 5 11 /12 /décembre /2015 13:08

«Pourquoi le sentiment s’est-il ancré en moi de bonne heure que, si le voyage seul – le voyage sans idée de retour – ouvre pour nous les portes et peut changer vraiment notre vie, un sortilège plus caché, qui s’apparente au maniement de la baguette du sourcier, se lie à la promenade entre toute préférée, à l’excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d’attache, à la clôture de la maison familière.»

Julien Gracq, Les eaux étroites

En quoi la promenade, cette pratique si banale, donne-t-elle à penser ? En quoi ce déplacement, cet aller-retour sans importance, peuvent-ils être objet de réflexion ? La réponse qui vient d’abord à l’esprit est la suivante : il n’est pas d’objet, aussi futile puisse-t-il nous paraître, qui soit indigne de la réflexion philosophique et c’est même en cela que consiste d’abord cette réflexion, à savoir s’étonner de ce qui étant le plus commun, le plus banal, n’est jamais ou trop rarement interrogé.

D’abord, de quoi parlons-nous lorsque nous parlons de promenade ? Quelle est la spécificité de la promenade par rapport à d’autres déplacements comme le voyage, l’excursion, la randonnée, etc. ? Est-ce seulement une question d’espace parcouru, de durée de déplacement ? Cela n’aurait-il pas aussi à voir avec les buts poursuivis ou peut-être, dans le cas de la promenade, avec l’absence de but ?

Une fois parvenu à une première esquisse de définition de la promenade, surgit néanmoins cette autre question : à quelles conditions la promenade est-elle possible ? Pourrions-nous en effet nous promener si nous n’étions pas d’abord assurés d’être en sécurité ? Se promener serait-il également possible si nous ne disposions pas pour cela d’espaces adéquats mais aussi de temps libre ? Or de telles conditions renvoient à la société, à la politique, à l’histoire.

Tout cela ne permet pas encore néanmoins de saisir le véritable sens de la promenade. Pour appréhender au plus près le sens de cette pratique, peut-être faut-il se pencher plus précisément sur ce qui se passe chez celui ou celle qui se promène. La promenade n’instaure-t-elle pas une autre relation au monde que celle que nous avons dans la vie quotidienne ? Qu’est-ce qui caractérise cet être-en-promenade et en quoi ces caractéristiques permettent-elles d’éclairer le rôle joué par la promenade, pour nous mais aussi pour ces nombreux écrivains et philosophes promeneurs ?

A la recherche d’une définition de la promenade.

Pour le Littré, le mot «promenade» désigne l’action de se déplacer d’un lieu à l’autre «pour se détendre, prendre l’air, etc.». Le mot désigne aussi le trajet fait en se promenant. Il désigne enfin un lieu dédié à cette activité de la promenade : la Promenade des Anglais par exemple. Au-delà de ces indications lexicales, essayons de préciser ce qui fait la spécificité de ce déplacement appelé «promenade» en distinguant celle-ci d’autres types de déplacement.

La promenade se distingue du voyage. La durée, l’éloignement dans l’espace caractérisent le voyage. Partir en voyage implique un éloignement de chez soi au moins pendant quelques jours, souvent beaucoup plus longtemps. La distance parcourue dans un voyage doit également être assez importante même si cette importance est relative au moyen de transport utilisé. Cette durée comme cet éloignement sont facteurs de dépaysement, celui-ci étant un des objectifs visés par le voyageur. Nous voyageons en effet souvent pour changer d’horizon, d’univers, pour découvrir un monde qui nous est étranger.

La promenade, contrairement au voyage, est circonscrite à une durée limitée ainsi qu’à un espace restreint. La durée d’une promenade n’excède pas celle d’une journée – ou d’une nuit pour les amateurs de promenades nocturnes – mais n’occupe le pus souvent que quelques heures tout au plus pendant lesquelles je peux m’éloigner de mon domicile et y revenir. Cette durée, combinée au mode de déplacement utilisé, mesure l’espace de la promenade, la longueur du trajet. Jean-Jacques Rousseau, se promenant en barque sur le lac de Bienne, s’absente tout au plus une demi-journée. Lorsqu’il se promène à pied à la périphérie de Paris, il prend la journée. Le cheval, le vélo, permettent au promeneur d’aller plus loin que ne le ferait le simple marcheur.

Autre différence entre promenade et voyage : la première n’exige aucun préparatif. Le voyage exige au contraire une anticipation, une organisation. Il doit être pensé à l’avance et demande la mise en œuvre de toutes sortes de moyens. La promenade, elle, peut être décidée et exécutée à peu près quand nous le voulons. Cette absence ou presque de contraintes contribue au charme de la promenade. La fantaisie du promeneur peut le conduire à improviser à chaque sortie un nouveau parcours même si les habitudes ont tendance à nous conduire souvent dans les mêmes rues, les mêmes places, les mêmes jardins. D’où le caractère souvent familier de l’espace de nos promenades.

La promenade se distingue aussi de l’excursion et de la randonnée. L’excursion a le plus souvent un objectif. Il peut être historique (un monument), géographique (un panorama), etc. Nous décidons par exemple d’aller faire une excursion au Mont-Saint-Michel. Dans l’excursion, nous décidons de sortir de notre espace familier pour découvrir telle ou telle curiosité suscitant pour nous un intérêt.

La randonnée n’est pas nécessairement étrangère aux objectifs de l’excursion. Elle comporte néanmoins, à la différence de celle-ci, un caractère sportif plus ou moins marqué. Qu’elle soit pédestre, cycliste, etc., elle exige du randonneur un minimum d’aptitudes physiques : bonne santé, endurance… . Autre caractéristique de la randonnée, elle suit en général un itinéraire déterminé que mesure une durée moyenne entre des étapes fixées à l’avance. De ce point de vue le randonneur n’a rien à voir avec le promeneur. Il n’a pas de temps à perdre s’il veut boucler l’étape en temps voulu. Contrairement aussi à l’excursion, le cadre même de la randonnée et les éventuelles curiosités du parcours passent en partie au second plan par rapport à l’objectif principal : boucler l’étape, finir la randonnée.

La promenade se distingue de l’excursion par le flou inhérent à ses objectifs qu’elle pourrait – à supposer qu’elle en ait – se proposer : faire un petit tour, sortir, prendre l’air, etc. Il semble plutôt qu’on se promène pour le seul plaisir de se promener. De même qu’on joue pour jouer, on se promène pour se promener. Gratuité de la promenade. Quand bien même découvrirait-on en se promenant quelque curiosité digne d’intérêt, cela n’était pas au départ l’intention du promeneur.

La promenade se distingue aussi de la randonnée par sa lenteur, voire sa nonchalance. Le promeneur n’a pas à déployer de gros efforts physiques. Dans la promenade à pied, on marche à son rythme, sans forcer. De même le promeneur n’est-il pas, comme le randonneur, obnubilé par l’étape à boucler ? Il peut décider à n’importe quel moment de mettre fin à sa déambulation et de rentrer chez lui.

La promenade n’est pas non plus l’errance. Traitant de la promenade, difficile de ne pas songer à la figure romantique du Wanderer, si présente chez les écrivains et les musiciens du 19ème siècle de culture allemande. Le Wanderer est-il un simple promeneur ?

Le Wanderer est avant tout un errant. Qu’est-ce qui justifie cette errance ? Sans doute ce sentiment si prégnant dans l’âme romantique de n’être nulle part à sa place. C’est parce qu’il est jugé comme bon à rien que le héros du roman de Eichendorff Scènes de la vie d’un propre à rien quitte le moulin familial et vagabonde jusqu’en Italie, paradis espéré mais finalement décevant. Le Wanderer fuit un monde qui ne lui convient pas. Par son errance, son vagabondage, il cherche, souvent au sein de la nature, cet absolu auquel il aspire. C’est cette fusion avec la nature, dont la mort est un des moyens, que recherche cet errant. Aussi la promenade, telle qu’elle se développe dans l’Europe du 19ème siècle, notamment dans les grandes villes, comme rituel social conformiste et bourgeois, cadre-t-elle mal avec les aspirations de ce Wanderer.

La promenade n’est pas la même chose que l’errance. Sa pratique est davantage associée au bonheur de vivre, à la récréation, à la détente qu’à la recherche de je ne sais quel absolu. Toutefois le personnage du flâneur urbain tel qu’il prend figure avec Baudelaire et se poursuit jusqu’au 20ème siècle avec le philosophe Walter Benjamin, tend à rapprocher la promenade d’un certaine errance.

La promenade se distingue enfin nettement de pratiques sportives comme la marche rapide, la marche scandinave et à plus forte raison du jogging, du running, etc.

L’adepte du jogging aime se mesurer, se chronométrer. Sa pratique vise une gestion du corps – de son capital physique – un corps qu’il s’agit d’entretenir quant à sa forme, voire à ses performances. De ce fait une pratique comme le jogging semble bien une expression significative des sociétés post-modernes et de leurs valeurs : le culte du corps et des apparences, la recherche de la performance, l’individualisme et en même temps la recherche de la reconnaissance des autres. Enfermé dans son monde, notamment par le biais d’un casque diffusant de la musique, le jogger semble vouloir accomplir sa performance en faisant abstraction du monde qu’il côtoie. Il est tout entier concentré sur son rythme cardiaque, sa respiration, sa dépense de calories, etc., autant de facteurs mesurables par des instruments consultables à chaque instant.

Le promeneur ne recherche quant à lui ni la performance, ni une quelconque «gestion» de son corps ou de sa santé. Il est indifférent à son rythme cardiaque comme à la mesure de ses pas. Contrairement au jogger, il nourrit sa promenade du spectacle changeant du monde qu’il parcourt – monde urbain ou paysage rural -, élément inséparable du plaisir de la promenade.

Cette anecdote pour finir. A la fin d’une émission politique où il était invité à donner sa conclusion, Alain Finkielkraut fit remarquer non sans pertinence que François Mitterrand avait été un promeneur alors que Nicolas Sarkozy – à cette époque candidat aux présidentielles – était un jogger et que cette seule différence engageait des conceptions de la politique et de l’existence radicalement différentes. Se promener engage en effet un tout autre rapport au monde, aux autres, à soi-même que le fait de courir. On retrouvera cette idée dans la dernière étape de cet exposé.

Si la promenade n’est ni voyage, ni excursion, ni randonnée, ni errance, ni pratique sportive, qu’est-elle au juste ? Qu’est ce qui ressort de ces différentes comparaisons et permet de spécifier la promenade ?

La promenade : un déplacement de courte durée dans un espace restreint – compte tenu des modes de locomotion utilisés – un espace qui se trouve en général à proximité de chez soi.

La promenade : un déplacement empreint de lenteur, quels que soient les moyens utilisés : marche, vélo, etc. Le promeneur ne vise aucune performance. La promenade instaure un autre rapport au temps, un rapport qui tranche, notamment aujourd’hui, avec le caractère rapide, affairé de nos modes de vie.

La promenade : un déplacement sans contraintes. On se promène quand on veut et à peu près partout, du moins dans les espaces publics. L’itinéraire, la durée de la promenade ne dépendent que de nous comme le fait de se promener seul ou avec d’autres. Une promenade n’a en outre aucun besoin d’être préparée, organisée. S’il s’agit, comme souvent, d’une promenade à pied, celle-ci ne requiert aucun matériel spécifique.

La promenade : un déplacement gratuit. On se promène pour se promener, pour le seul plaisir que cela procure et cela, malgré les éventuels prétextes que l’on est amené à exprimer : prendre l’air, se détendre, la santé, etc. Nous verrons plus loin que cette absence de but, d’objectif ouvre le promeneur à la disponibilité.

La promenade : un déplacement qui instaure un rapport au monde singulier. Chez qui se promène naît une sorte d’équilibre entre le corps en mouvement, la disposition d’esprit et le monde dans lequel se meut le promeneur. Dans la troisième étape de ce travail nous essaierons d’approfondir cette idée et d’éclairer par ce biais la relation privilégiée entre promenade et littérature, promenade et philosophie.

Avant toutefois de clore cette étape destinée à éclairer les caractéristiques de la promenade, il m’a semblé important d’ajouter une remarque qui permettra de nuancer et d’enrichir les éléments que l’on vient de dégager.

La promenade en effet n’a pas toujours cette gratuité dont nous venons de parler. Dans un certain nombre de pays, nous pensons à l’Italie, à l’Espagne et à un certain nombre de pays d’Amérique latine, la promenade – passegiata, paseo – reste encore une sorte de rituel social, caractère qui a quasiment disparu en France comme dans beaucoup d’autres pays.

Prenons l’exemple du paseo espagnol, coutume encore vivace et qui voit les personnes de tous âges et de toutes conditions déambuler dans certains espaces urbains : avenues, allées de parc, paseos, etc. Cela se passe quotidiennement, en gros entre le moment où l’on a fini de travailler et le dîner – à partir de 21 h 30 -. On y déambule seul mais le plus souvent en petits groupes (amis, famille…) à la fois pour voir les autres et être vus, échanger avec des connaissances de rencontre… C’est comme si, par cette pratique quotidienne, une communauté cherchait à éprouver et surtout à consolider les liens entre ses différents membres. Une sorte d’exercice de sociabilité.

Cette manière de pratiquer la promenade comme une cérémonie sociale plonge sans doute ses racines dans un passé vieux de quelques siècles, époques où la promenade fut d’abord l’apanage des sociétés de cour, lesquelles se mettaient ainsi en scène à certaines heures et dans des lieux déterminés.

Les conditions de possibilité de la promenade.

Une réflexion sur ce qui caractérise la promenade en tant que telle est inséparable d’une interrogation sur ce qui la rend possible.

La promenade obéit à des exigences de sécurité.

«Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n’y est pas». Les mots tout simples de cette comptine en disent plus long que l’on croit. Un peu partout dans le monde et jusqu’à une époque assez récente, les hommes ont été confrontés aux dangers que représentaient les bêtes sauvages partageant leur environnement. Même en Europe, il y a deux ou trois siècles, la présence des loups, des ours, des lynx etc. rendait les forêts, les landes, inhospitalières et peu propices aux promenades. Aujourd’hui hélas ! beaucoup de ces animaux ont disparu de la plus grande partie du territoire européen, laissant ainsi aux hommes des espaces libres et sûrs pour se promener en montagne, en forêt, etc.

Mais le loup dont nous parle la comptine n’est pas seulement ce canidé sauvage, Canis lupus. Il désigne aussi symboliquement la violence humaine. L’homme peut aussi être un loup pour l’homme selon la formule consacrée par Hobbes. Brigands, voleurs de grands chemins, pillards, chauffeurs, etc. sont encore très présents dans un pays comme la France, au moins jusqu’au 18ème siècle. Si un Montaigne peut, comme il l’écrit au chapitre 13 du livre III de ses Essais, «se promener solitairement en un beau verger», c’est que ce verger fait partie de sa propriété, propriété sécurisée par une clôture et surveillée par une escouade de domestiques. En revanche lorsque Montaigne désire aller se promener à l’extérieur de sa propriété, il prend soin de se faire accompagner par quelques hommes faisant office de garde rapprochée. Ce qui en dit long sur le sentiment d’insécurité qui règne alors en France comme ailleurs. L’exemple récent des attentats terroristes de Paris met en lumière, tragiquement hélas ! ce lien entre la sécurité et la possibilité de se promener en toute insouciance. Il faut que les espaces urbains soient sécurisés, qu’on ait la certitude que les lois y soient respectées, que la violence y soit sous contrôle, pour que l’on puisse s’y promener en toute tranquillité. Or cette conquête de la sécurité urbaine notamment est le fruit d’un long travail de civilisation des mœurs qui reste malgré tout fragile.

Jusqu’au17è siècle, au moins en Europe, les lieux possibles de promenade sont souvent cantonnés à l’intérieur des remparts des villes, remparts dont on ferme et garde les portes chaque nuit. Voilà pourquoi la promenade est à cette époque un loisir réservé aux privilégiés, aux nobles. Ceux-ci disposent en effet d’espaces privés spacieux et bien protégés : châteaux entourés de jardins, de parcs, eux-mêmes protégés par une clôture. Les jardins du château de Versailles par exemple vont, à l’initiative de Louis XIV, devenir pour la cour le lieu de promenade par excellence. Non pas que chacun puisse y flâner à sa guise, car la promenade est un rituel dont le roi est le grand maître de cérémonie. C’est lui qui décide pour ses courtisans de l’itinéraire, des pauses, des points de vue à admirer, etc. Dans de nombreuses civilisations, l’aménagement des jardins n’est jamais étranger à la déambulation, à la promenade.

Ainsi les lieux de promenades ont-ils d’abord été des espaces privés, espaces protégés des dangers de l’extérieur par les murs d’un palais, d’un monastère. Beaucoup de ces lieux comportent des galeries, des cloîtres des promenoirs. Entourant souvent un jardin, ces galeries permettent de se promener à l’abri de la pluie ou des ardeurs du soleil. On peut s’y détendre. Il s’agit de lieux de récréation notamment pour les personnes dont le statut est tel qu’elles sortent peu, voire pas du tout comme les moines, les nonnes.

Pour mieux se convaincre de cette idée de la sécurité comme condition nécessaire à la promenade, on peut se tourner vers des exemples proches de nous. Il est sans doute peu probable qu’on aille se promener dans certaines banlieues de grandes villes européennes, africaines ou autres. On craindrait trop d’y être à chaque instant agressé. L’espace urbain contemporain se partage ainsi entre zones peu sûres où il ne fait pas bon traîner et zones où règne la sécurité, facteur incitant à la promenade. Mais cette sécurité n’est pas seulement, nous allons le voir, une affaire de règles sociales, de police, d’institutions ; elle dépend aussi en partie de l’aménagement de l’espace.

Pour nous promener, il n’en a pas toujours été ainsi. Si nous pouvons nous promener à notre guise dans les rues de nos villes c’est aussi que, depuis des siècles, des aménagements ont été progressivement opérés afin de rendre possible cette libre déambulation. Les remparts qui protégeaient nombre de cités ont progressivement disparu au profit de larges boulevards sur les trottoirs desquels les piétons peuvent circuler à leur aise. Nous avons du mal aujourd’hui à imaginer l’exiguïté des rues d’une ville comme Paris jusqu’au milieu du 19ème siècle.

La promenade requiert des espaces accessibles et adaptés.

L’aménagement d’espaces suffisamment ouverts pour faire obstacles aux tentatives d’agressions, de vols, etc. va non seulement favoriser la sécurité des promeneurs mais aussi faciliter leur déambulation.

Nous disposons aujourd’hui d’un large éventail d’itinéraires. Autrefois à Paris l'exiguïté mêlée à la saleté, à l’insécurité, condamnait par avance toute tentative de promenade. Les travaux d’Haussmann, sous le second Empire, ont permis d’ouvrir, d’aérer l’espace urbain de la capitale en dégageant de larges perspectives, en facilitant, outre la circulation des calèches, carrioles et autres charrettes, celle des piétons toujours plus nombreux à se promener. Ces travaux d’urbanisme, opérés à la même époque dans d’autres grandes villes européennes, vont conduire à démocratiser et développer la promenade urbaine. Longtemps cantonnée à quelques espaces privilégiés – à Paris : les Tuileries, le Cour la Reine puis les Champs-Élysées et le Luxembourg – la promenade ne concernait alors qu’une faible partie de la population : l’aristocratie puis progressivement la bourgeoisie, catégories sociales pour lesquelles la promenade était d’abord un rite social.

A partir du moment où les villes vont être dotées de boulevards, d’avenues où des cheminements sont spécialement aménagés pour la circulation piétonnière, tout un chacun va alors pouvoir y suivre à son gré ses propres itinéraires et faire ainsi de la ville un vaste espace de promenade. Des écrivains comme Dickens à Londres, Baudelaire à Paris,ont été de grands promeneurs urbains et les contemporains de cette adaptation de l’espace urbain à la promenade.

Si les villes sont, avec leurs parcs, leurs jardins publics, leurs boulevards, les premiers lieux de promenade, la campagne va également, à partir de la fin du 18ème siècle mais surtout au 19ème, être investie par les promeneurs. Longtemps les hommes ont eu peur de milieux réputés sauvages et inhospitaliers comme les montagnes, les régions côtières. La sensibilité à l’égard de ces paysages va néanmoins évoluer. Cette évolution est contemporaine du développement du romantisme. Il y a dans la sensibilité romantique l’idée d’une sorte de connivence entre la nature et les états de l’âme. Dans cette perspective Rousseau peut être considéré comme un pionnier. Notre goût pour les paysages montagnards doit beaucoup à ses écrits où il fait l’éloge de la marche à pied à travers les Alpes, le Jura. Un peu plus tard en Angleterre, un poète comme Wordsworth, grand marcheur en quête de solitude et de paysages sauvages, sera un de ceux qui, dans son pays, vont le plus contribuer à développer une mode : aller se promener à la campagne. Cette mode n’est pas non plus tout à fait étrangère au développement de l’industrialisation et au besoin qu’éprouvent de plus en plus de personnes de sortir des grandes villes. Le mouvement va connaître une telle extension qu’il sera même nécessaire de négocier avec les propriétaires terriens des droits de passage pour pouvoir disposer de parcours de promenade assez nombreux et variés. La littérature, la peinture, la musique du 19ème siècle, témoignent par leur contenu de cette ouverture de la campagne à la promenade.

Aujourd’hui le fait de pouvoir se promener en forêt, au bord de la mer, sur des chemins de montagne, nous semble aller de soi. Nous avons oublié que c’est en partie le fruit d’une évolution des mentalités.

Pour finir, cette brève remarque concernant notre époque. Le développement toujours plus important de l’automobile dans les grandes métropoles et à leur périphérie a conduit à y aménager l’espace en fonction de la seule circulation automobile. Résultat, dans certaines banlieues de grandes villes – de villes américaines notamment – il est devenu très difficile voire impossible de se promener à pied. Le réseau des routes, autoroutes, bretelles, etc. est si dense qu’il a envahi tout l’espace. Il y a une quinzaine d’années, le maire de New York estimait que les piétons constituaient le problème n° 1 dans sa ville.

La promenade requiert le loisir.

Longtemps la promenade est restée le privilège de ceux qui disposaient de temps libre. Ce temps, ils le devaient souvent au fait que d’autres passaient leur temps à produire leurs moyens de vivre. Une société comme celle de la Grèce antique, fondée sur l’esclavage, a favorisé le loisir d’une classe de privilégiés. L’éclosion, à cette époque et dans cette zone géographique, de la philosophie doit sans doute beaucoup au fait que, libérés des tâches nécessaires à la survie, certains avaient du temps pour discuter, réfléchir et ainsi proposer des interprétations du monde. Le faisaient-ils en se promenant comme le veut la légende des péripatéticiens ? L’histoire retient plus simplement que les lieux de la philosophie – Lycée, Stoa… - se trouvaient à proximité de galeries où les gens avaient l’habitude de déambuler tout en parlant.

Des siècles plus tard, en Europe notamment, c’est la noblesse qui va d’abord disposer de cet «otium» pour chasser, organiser des fêtes mais aussi se promener. D’où le fait , nous en avons parlé plus haut, que dans une ville comme Paris les lieux de promenade aient d’abord été réservés à ceux qui avaient du temps pour cela. Jardins et galerie du Palais royal, jardin des Tuileries sont d’abord exclusivement réservés aux promenades des gens de la Cour. La percée des Champs-Élysées ouvrira la promenade à la bourgeoisie à condition toutefois que ses membres ne circulent que d’un côté et laisse l’autre à l’aristocratie.

Jusqu’à une période récente le promeneur est vu comme un privilégié, quelqu’un qui n’est pas accaparé par le travail. Mais la diminution progressive du temps de travail dans les pays industrialisés, l’institution de jours de congés vont avoir pour conséquence une libération du temps disponible pour d’autres activités que les seules activités laborieuses. Aussi n’est-il guère étonnant d’assister tout au long du 19ème siècle et jusqu’au milieu du 20ème au développement de la promenade pour toute la population. Facile, gratuite, à la portée de tout un chacun, la promenade est un des loisirs les plus élémentaires. A notre époque toutefois, l’industrie des loisirs comme le développement de certains médias – télévision notamment – vont conduire à marginaliser la simple promenade.

La promenade requiert un état d’esprit.

Quelques mots sur cette dernière condition de possibilité de la promenade, d’ordre plus psychologique. L’idée sera en effet largement reprise dans l’étape qui suit. Notons pour l’instant brièvement que pour se promener et vraiment jouir de la promenade, il est nécessaire d’être dans une disposition d’esprit insouciante. On ne peut prendre véritablement du plaisir à se promener qu’une fois mises entre parenthèses les contraintes, les inquiétudes, les préoccupations, les tensions qui souvent accompagnent notre vie quotidienne. L’affairement permanent, le souci d’atteindre des objectifs ne font pas bon ménage avec la promenade.

Pour conclure, nous pouvons comprendre que la promenade, activité à nos yeux si simple et presque naturelle, requiert en réalité un certain nombre de préalables.

Être en promenade.

Partant du cas de la promenade solitaire à pied, essayons maintenant de s’approcher au plus près de la promenade en saisissant si c’est possible ce qui se passe chez celui qui se promène, soit en précisant la relation qui s’établit entre son corps, ses pensées et le monde qu’il côtoie.

Se promener c’est sortir.

Cette idée de «sortie» peut se comprendre comme sortie de son espace privé mais aussi comme sortie de soi-même.

La sortie s’oppose ici au confinement, à l’enfermement dans notre espace privé, lequel est l’espace de notre vie domestique avec ses inévitables habitudes, son train-train quotidien. En allant me promener j’ouvre soudain cet espace, je l’élargis à un espace partagé par d’autres, un espace public. Cet espace je vais, par la promenade, me l’approprier, l’habiter. Comme l’écrit H. Arendt : «On habite une ville en s’y promenant sans but, ni dessein». Cette idée d’habiter une ville – mais on pourrait dire la même chose d’un morceau de campagne – vient d’abord de la répétition. A force de refaire le même parcours, ou bien en recoupant des parcours déjà faits, je finis par m’approprier cet espace où je circule pour ainsi dire les yeux fermés. D’où le caractère le plus souvent familier de l’espace de la promenade qui est comme un élargissement de notre espace privé. Voilà sans doute pourquoi la coupure qu’instaure une promenade n’est pas de même nature que celle, beaucoup plus radicale, qu’instaure un voyage.

Mais cette idée d’habiter l’espace en m’y promenant à pied s’explique aussi par la façon dont je m’engage, avec mon corps, dans ce dédale de rues, d’allées, de chemins, etc. On ne s’approprie pas l’espace de la même façon selon qu’on le parcourt enfermé dans une voiture ou bien en marchant sur un trottoir. Le rythme n’est pas le même et les sens sollicités non plus. Le monde qui défile au rythme des pas du promeneur est fait d’un grand nombre de données sensorielles : bruit des conversations, de la circulation, des cris d’oiseaux, lumière, odeurs, etc. Toutes ces sensations appréhendées «en passant» tissent, promenade après promenade, un monde fait à la fois de familiarité et d’altérité. D’où chez le promeneur cette double impression de familiarité rassurante et d’étrangeté un peu aventureuse. On ne sait pas à l’avance quelles surprises réserve une promenade.

Mais cette idée de sortie, inséparable de celle de promenade, peut se comprendre aussi comme sortie de soi-même. De même qu’elle nous permet d’échapper un moment au confinement dans notre espace domestique, de même la promenade nous aide-t-elle à sortir de notre confinement intérieur où notre pensée risque souvent de «tourner en rond». Dans et par la promenade à pied notre pensée est incitée à adopter un autre rythme et à s’ouvrir à d’autres choses. Le changement de décor favorise la déprise à l’égard de ce qui nous préoccupe, nous «prend la tête».

Se promener nous ouvre à la disponibilité.

Soit l’exemple de la promenade à pied, en solitaire. Le promeneur marche, mais sans forcer. En marchant ainsi il se met en mouvement et, par ce mouvement en avant, le monde vers lequel il avance apparaît sous tel ou tel aspect puis disparaît. Le mouvement lent de la marche donne à percevoir un monde jamais figé et dont on découvre, en continuant à avancer, les inépuisables aspects.

Un tel mouvement favorise déjà la dé-préoccupation. L’esprit, replié sur ses préoccupations, ses soucis, risque de se laisser totalement absorbé par lui-même, dans une sorte de ressassement un peu stérile. A l’inverse, cette distraction que produit un monde qui change au gré de mes pas m’aide à prendre la distance nécessaire à l’égard de ce ressassement.

Mais se promener n’est pas non plus être complètement absorbé par le monde qui nous entoure comme si notre attention était tour à tour accaparée par tout ce qui se présente. Une attention trop constante, trop intense portée à tel ou tel aspect du monde rencontré (architecture, végétation, tenues vestimentaires…) détourne la promenade vers autre chose qu’elle. Dans les promenades qu’il fait notamment autour de Paris – promenades racontées et mises en scène dans ses Rêveries du promeneur solitaire – Rousseau nous dit qu’il herborise. Il précise qu’il fait cela en dilettante, pour le seul plaisir de s’émerveiller de la diversité du règne végétal. Schelle, dans un ouvrage intitulé L’art de se promener, critique cette attitude trop savante à ses yeux et qui détourne le promeneur de la contemplation inattentive qui devrait caractériser à ses yeux l’esprit du promeneur. En somme le promeneur doit pouvoir renoncer à son initiative de sujet connaissant, agissant. C’est de cette façon qu’il s’ouvre à la disponibilité.

Voilà pourquoi aussi il est difficile de parler de la promenade comme d’une activité, tellement s’y trouve mêlée de passivité. La promenade rejoint par là la disposition d’un esprit qui, ne s’appliquant à rien de précis, de figé, laisse circuler librement les représentations les plus diverses, fruits conjugués du perçu, de la mémoire, de l’imaginaire, des affects. D’où cette affinité particulière entre la promenade comme libre déambulation et la mobilité particulière de l’esprit suscitée par cette déambulation.

C’est peut-être de ce côté qu’il faut chercher la clé de ces remarques de penseurs, d’écrivains sur la nécessité dans laquelle ils sont de se promener pour pouvoir mieux penser et ensuite écrire. Dans les Confessions Rousseau écrit : «Je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit.». Un siècle plus tard, Kierkegaard, qui se promène chaque jour longuement dans sa ville de Copenhague, affirme puiser dans ce nomadisme urbain l’énergie nécessaire pour penser et écrire. Il précise dans son journal avoir composé ses livres en marchant. D’abord en marchant en ville : «Ma tension mentale est telle que pour la supporter j’ai besoin de diversion, de la diversion des contacts au hasard des rues et des allées…». Ensuite dans le vaste appartement qu’il occupe et où il ne cesse de déambuler d’une pièce à l’autre en ayant pris soin d’installer dans chacune une écritoire pour noter les idées qui lui viennent à tout moment. Un autre philosophe, Nietzsche, est connu pour son amour du mouvement et de la promenade en particulier. Il écrit à ce propos : «Seules les pensées qu’on a en marchant valent quelque chose.» Il n’a pas de mots assez durs pour condamner les philosophes de chambres, les penseurs sédentaires. Comment comprendre ce lien si fort que certains établissent entre promenade et pensée ?

Faut-il rapporter cela à la contemplation ainsi que le défend K.G. Schelle, philosophe populaire contemporain de Kant ? Parlant de cette mobilité de l’esprit accompagnant la promenade il l’assimile à un «libre jeu des facultés», renvoyant par là à l’analyse faite par Kant de la contemplation esthétique. En se promenant, l’homme serait porté à la contemplation, laquelle implique le désintéressement - on ne se préoccupe ni d’utilité, ni de morale – mais aussi la suspension du processus de connaissance. Ainsi ce qui se présente dans l’espace traversé par le promeneur susciterait, au gré des mouvements du marcheur, des pensées, images, souvenirs, interrogations, etc. qui renverraient continuellement à de nouvelles représentations. Dans cet état de contemplation, l’esprit jouirait pour ainsi dire de lui-même. Cette interprétation est-elle néanmoins totalement suffisante ?

La promenade comme manière d’être-au-monde spécifique.

Pour cerner de plus près la spécificité de cet être-en-promenade, faisons appel à une image, celle du flottement. Flotter se situe en effet entre activité et passivité et c’est précisément dans cet «entre» que se situe l’expérience de la promenade. Ainsi, pour flotter dans l’eau, un homme n’a-t-il besoin de faire que de faibles mouvements. Un minimum suffit pour qu’il se maintienne à la surface. Difficile ici de ne pas penser à Rousseau et notamment à l’un de ses textes les plus connus, la cinquième de ses Rêveries du promeneur solitaire. Il y est question d’une promenade en barque sur le lac de Bienne. Pendant un long moment où le temps semble comme suspendu, le narrateur laisse cette barque dériver lentement. Cette dérive est juste rythmée par un très léger mouvement et par le bruit de l’eau venant heurter les flancs de l’embarcation. Cela suffit pour faire naître chez le promeneur ce plaisir exaltant, à la fois très simple et très pur, le simple plaisir d’exister. C’est comme si Rousseau parvenait ici à saisir l’essence même de la promenade qui est flottement et dérive légère.

De même que pour flotter il est inutile d’en faire trop, de même pour se promener – je pense d’abord à la promenade à pied, la plus commune – suffit-il de faire le minimum pour avancer. Le promeneur, répétons le, ne vise aucune performance, aucun objectif de nature sportive. Aussi peut-il se contenter de mettre un pied devant l’autre selon son rythme, un rythme qui sans doute peut varier au gré des circonstances du parcours, mais qui reste globalement lent comme l’expriment si bien les frères Goncourt : «Tous allaient tranquillement, bienheureusement, d’un pas qui voulait s’attarder, avec le dandinement allègre et la paresse heureuse de la promenade.».

La promenade ne saurait toutefois se réduire à cette seule activité minimale du corps –on avance – et qui recèle en même temps de la passivité – on se laisse aller au rythme de ses pas - . Car se promener concerne tout notre être. Nous nous promenons avec nos souvenirs, notre imaginaire, notre humeur du moment. Or l’image du flottement semble également pertinente pour saisir l’état d’esprit du promeneur. De même qu’on a pu parler avec Freud d’ «attention flottante» - à propos de l’analyste écoutant ses patients - de même pourrait-on parler à propos du promeneur d’esprit flottant, c’est-à-dire d’un esprit qui, là encore, évolue entre activité et passivité.

Tendu vers un but à atteindre ou encore concentrant son attention sur un objectif, l’esprit en fait trop et risque de se fermer à de nombreux possibles. Au contraire, la non concentration de l’attention, la dispersion sont, pour le promeneur, le meilleur moyen d’être réceptif et de s’ouvrir à toute la richesse du monde qu’il côtoie. Autrement dit, l’esprit du promeneur est à la fois actif puisqu’il est en mouvement, et passif pour autant qu’il se laisse dériver au gré de la marche et d’un monde dont les aspects se renouvellent continuellement : angles de vue, lumières, ambiances sonores, atmosphères, flot ininterrompu des personnes croisées dans une foule, etc. En bref, lorsque l’attention se concentre sur quelque chose, elle exclut alors nécessairement ce qui n’entre pas dans son champ. En revanche, ne faisant attention à rien de précis, n’attendant ni ne visant rien de particulier, comme dans la promenade, notre esprit n’exclut rien et pour cette raison devient réceptif à d’innombrables choses. Voilà peut-être une raison de plus pouvant expliquer comment la promenade peut produire ces idées auxquelles on ne s’attend pas et susciter chez certains une inspiration.

Inséparable de ce flottement, de cet état intermédiaire entre passivité et activité, la légèreté. Le promeneur a le pas et l’esprit léger. Jules Renard parle de la promenade en ces termes : «Le corps marche et l’esprit voltige à l’entour comme un oiseau.». L’être-en-promenade est à l’opposé du pesant, de l’insistant, du sérieux. On pourrait à son propos reprendre la belle formule que Verlaine, dans son Art poétique, applique au vers impair : «sans rien en lui qui pèse et qui pose». L’un des charmes de la promenade vient de ce que nous mettons entre parenthèses tout esprit de sérieux, par exemple celui qui s’emparerait de nous si nous nous mettions à regarder le monde qui nous entoure en architecte, en urbaniste, en moraliste, etc. ou encore si nous nous enfermions dans la connaissance qui fige le monde en objets. Parlant du promeneur, Pierre Sansot parle de quelqu’un qui fait «le serment d’effleurer et non point d’empoigner».

La promenade nous rend léger. Se promener c’est être en mouvement, c’est être de passage, d’où ce beau nom de «passant». Le passant se déplace d’un endroit à un autre et en même temps d’une idée à une autre sans s’appesantir. Ce mouvement inhérent à la promenade met le monde et mon esprit en mouvement en donnant à voir, à sentir, à imaginer, dans la continuelle apparition/disparition des choses, des êtres et des idées, la diversité infinie du monde et des échos que ce monde produit en nous en fonction des dispositions du moment. Le monde qui vient à la rencontre du promeneur s’offre à lui comme une succession jamais achevée, toujours ouverte, de perceptions et d’affects qui ne sauraient épuiser la richesse du monde extérieur et intérieur. Être en promenade c’est en somme instaurer un fragile équilibre entre un corps qui marche, une pensée flottante et un monde en continuel renouvellement.

Sans doute est-il temps de conclure. Quelle signification donner à la promenade en fin de compte ? N’est-elle pas avant tout cette pratique toute simple, à la portée de tout le monde, par laquelle chacun peut s’offrir à peu de frais une respiration au sein de sa vie quotidienne ?

Car la rapidité, voire la fébrilité à laquelle nous pousse cette vie quotidienne ont aussi besoin de la lenteur de la promenade. L’affairement inséparable de la vie de tous les jours a besoin de la gratuité. Le sérieux a besoin de la légèreté. La volonté de maîtrise a besoin de déprise. Les contraintes inévitables ont besoin de liberté, la routine un peu usante a besoin de récréation et de disponibilité, les préoccupations ont besoin d’insouciance. Ainsi la promenade peut-elle être comprise comme une parenthèse bienheureuse dans la routine des jours ou encore comme ce contrepoint nécessaire aux nombreuses pressions inhérentes à notre vie de tous les jours.

Mais cette pratique de la promenade n’est-elle pas aujourd’hui de plus en plus marginalisée ? Dans une société portée à tout rationaliser, à considérer toute activité en termes d’objectifs, de performance, de marchandise, la promenade a-t-elle encore une place ?

Jean-Michel LOGEAIS 10 décembre 2015

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