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3 avril 2014 4 03 /04 /avril /2014 14:30

La démocratie est une invention des hommes dans la Grèce antique, invention que l’on a depuis beaucoup vantée : organisation de la cité (de la polis) dans laquelle c’est le peuple (démos), c’est-à-dire l’ensemble des citoyens sans distinction de naissance, de richesse, de compétence, qui détient, ou qui contrôle le pouvoir politique.

-la démocratie directe où le peuple assemblé (comme à Athènes au cinquième siècle avant J.C.) délibère et décide. Où ceci peut-il se pratiquer aujourd’hui ?

-la démocratie indirecte ou représentative, où le peuple gouverne ou se fait gouverner par le truchement de représentants qu’il a élus. C’est le cas de nos modes de gouvernements contemporains, dans les démocraties parlementaires modernes. Le peuple alors vote lors de grandes journées préparées de longue date, dans une sorte de grande cérémonie laïque, ritualisée, codifiée où les procédures doivent être rigoureusement respectées sous peine d’annulation.

La démocratie est aussi un idéal que beaucoup regardent avec envie quand ils sont soumis à d’autres régimes dont ils veulent se libérer et ne pensant pouvoir le faire que par la démocratie, forme de gouvernement mais aussi de régulation des rapports humains en dehors même de la sphère proprement politique : ce qui est en jeu c’est la souveraineté, le fondement du pouvoir de chacun sur lui-même et de tous sur l’intérêt général : ce que l’on peut appeler l’autonomie. C’est chaque sujet qui en définitive choisit pour lui sa propre loi, c’est le peuple qui en définitive est le souverain en décidant de la forme des institutions, du régime politique, par le vote référendaire ou l’élection de représentants qui œuvreront en principe pour l’intérêt général. Le pouvoir fondé sur soi et sur le peuple et non entre les mains d’autres étrangers à soi ou au peuple, car soumis à autre que soi c’est l’aliénation, la soumission. Or nous aspirons tous à la liberté. Donc la démocratie ne peut qu’être prisée, vantée et pratiquée. Et pourtant, à quoi assistons-nous ?

Le suffrage universel est ce qui est reconnu comme fondement de l’expression démocratique, mai lui aussi a ses limites. Tous les habitants d’un territoire ont le droit de voter et d’exprimer par là leur choix, leur préférence. Mais s’agit-il vraiment d’universel dans la réalité ? En effet le niveau d’abstention est important, de nombreux «citoyens» ne se déplacent pas pour aller voter, choisir leurs représentants pour un temps déterminé dans une institution déterminée (conseil municipal, assemblée nationale ou autres…).

Par ailleurs ce suffrage n’exprime jamais que le point de vue d’une partie de la population. C’est la règle du jeu, c’est le système choisi : on ne peut attendre l’unanimité, ce serait trop rare et peut-être suspect (on a connu des unanimités dans des régimes totalitaires !) Alors on a décidé de se contenter de la majorité.

Mais la majorité des suffrages exprimés n’est pas la majorité des électeurs ni la majorité de la population ! Je sais, c’est ce qu’il y a de plus pratique : se conformer au choix de la majorité. Mais il n’a jamais été démontré que celle-ci avait nécessairement et toujours raison ! On peut toujours se demander si la majorité qui n’est toujours que relative, eu égard à la population dans son ensemble, est surement et automatiquement dépositaire de l’intérêt général, Rousseau (référence obligée) ne le pense pas, le plus grand nombre n’a pas forcément raison contre le reste.

Donc l’expression du suffrage universel n’est pas sans nous poser de questions !

La démocratie directe n’est pas praticable dans les grands ensembles de populations (de la commune à l’Etat).

En outre, les partis politiques, qui sont des intermédiaires entre le peuple et les lieux d’exercice du pouvoir et qui fournissent l’essentiel des possibles représentants, sont en diminution voire perte de considération, d’efficacité, de crédibilité. De tremplin, de dynamique démocratique, ils peuvent devenir des freins par l’esprit de système, le repliement sur soi, la pratique du balancier, un coup par ci, un coup par-là !...Le parti pensant souvent plus à lui, à son pouvoir qu’à l’intérêt général ou commun !

Par ailleurs les motivations, les intérêts sont tellement divers, multiples, plus proches de l’émotionnel, du passionnel, de l’instant vécu que du rationnel, de la projection dans l’avenir collectif, qu’il est pour le moins difficile d’accéder à la compréhension de l’intérêt commun de se conduire selon une éthique à la fois individuelle et collective bien fondée en raison.

A quel niveau se situent les débats trop souvent ? Comment les informations sont-elles données, commentées ? Ah ! La fameuse transparence à laquelle tant aspirent, mais qui pourrait mener finalement à une sorte de dictature et à «l’insupportabilité» les uns des autres !

Au niveau international, on sait aussi des limites de la démocratie comme du droit devant la violence ou l’usage de la force par certains pouvoirs y compris d’Etat ! La démocratie peut faire preuve alors de faiblesse, tout au moins d’insuffisance.

Est-ce à dire qu’il faille opter pour un autre régime, un autre modèle, un autre idéal, c’est-à-dire une autre idée de l’exercice du pouvoir ?

Sans vouloir tous les énumérer, préférerions-nous l’anarchie, la tyrannie, l’oligarchie, la ploutocratie, l’aristocratie…?

A vrai dire, dans nos démocraties il y a un peu de tout cela comme un mélange, et c’est bien ce mélange qui est troublant et peut constituer encore une limite !

L’argent et tout ce qui tourne autour est bien un nerf de notre organisation économique elle-même si fondamentale, la bureaucratie ne constitue-t-elle pas une forme d’aristocratie de même que tous ceux qui sortent de certaines formations élitaires, sorte de passage obligé avant d’accéder et pour y accéder, à la «carrière» politique. Quant à la tyrannie, n’en parlons pas, c’est pour la fuir que beaucoup espèrent en la démocratie et sont prêts à beaucoup pour y accéder. En ce qui concerne l’anarchie, ou elle représente un désordre ou une forme d’organisation très rigoureuse et exigeante des rapports humains.

Comme l’écrivait Rousseau dans une lettre à Mirabeau en juillet 1787 : «Je ne vois pas de milieu supportable entre le hobbisme (théorie de Hobbes sur le pouvoir absolu) le plus parfait et la démocratie la plus austère.» Un des fondateurs de l’idée moderne de la démocratie pressentait-il déjà des difficultés et par là des limites de la démocratie ?

Faudrait-il pour autant abandonner cette idée et ce mode d’organisation politique ?

Je ne le pense pas. Je pense simplement qu’il peut être utile de se prémunir contre des illusions qui font naître des déceptions suivies de possibles mouvements irrationnels et des réactions de désengagement de désintérêt par exemple.

Des limites, ça peut se pousser et on peut réaménager ce qui se trouve à l’intérieur, pour faire en sorte qu’on ne s’y heurte pas comme dans un mur indépassable. J'y vois pour cela la culture de deux conditions :

D’une part de la pédagogie, par l’Ecole et l’instruction de la formation et de l’information permanente sur tout ce qui concerne la vie publique, l’intérêt commun.

D’autre part une attention particulière à l’éthique pour que les acteurs de la vie politique, les responsables les représentants se comportent selon des principes, des valeurs, qui les mettent en dehors de tout soupçon de faire passer leur ambition, ou leurs intérêts personnels avant la raison de l’intérêt général !

Idéalisme, pourra-t-on dire ? Peut-être. Cela fait partie de l’éthique : la conscience des limites est le commencement de la sagesse qui vise à l’amélioration.

La démocratie a ses limites, comme toute entreprise humaine.

Pensons plutôt à Sisyphe et à son rocher : il ne pensait pas à ses limites, il les éprouvait dans le même temps qu’il les dépassait, ou l’inverse !

L’illusion (car il ne faut pas croire que la démocratie met à l’abri de tous les maux, de toutes les imperfections) est aussi la part nécessaire à la prise de conscience de nos limites et par là de nos réelles possibilités.

Si la démocratie a ses limites, vu qu’elle demeure, je pense, un modèle, c’est en les regardant en face qu’on peut les voir, et les surmonter, tout au moins en tirer profit.

Comment rendre la politique moins triste et plus joyeuse ?

Tout d’abord redonner sens au suffrage universel : donner la parole au peuple oui, mais s’il s’abstient ?

Ne pas lui donner la parole, c’est la dictature !

Alors on revient à l’éducation, à l’éloge du savoir, de la lucidité, à quoi il faut ajouter le courage et la référence à des valeurs susceptibles d’être universalisées.

La démocratie est peut-être encore plus une idée qu’une réalité. Les limites, si limites il y a, sont en partie dans l’idée qu’il faut retravailler (revoir le système électoral par exemple), mais surtout dans la réalisation, dans le principe de réalité. Dans toute réalisation, on risque de la perte de l’idéal.

La pire illusion serait de croire que ce régime que nous chérissons, que nous sommes toujours prêts à exporter n’est pas sans défauts ou sans limites. Des hommes ont inventé la démocratie, d’autres hommes peuvent par fidélité à cette idée «géniale» en son temps, la renouveler. Et il n’y a peut-être pas de temps à perdre, et «le jeu en vaut sans doute la chandelle». S’il y avait une conversion à assurer, ce ne serait pas celle de la démocratie, mais d’abord celle des hommes à qui on demanderait d’ouvrir plus largement leur individualité à la citoyenneté, en s’adossant à l’universalité, comme le fit Socrate, pourtant victime de la démocratie naissante à Athènes !...

Mais c’est une autre histoire, qui demanderait un prolongement, une autre place, une autre attention, déjà sans doute bien sollicitée.

Gilles Troger. 1 avril 2014.

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