Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 juin 2013 4 13 /06 /juin /2013 22:14

La polémique (on parle aujourd’hui de buzz) déclenchée l’an dernier par les propos de Claude Guéant sur la différence de valeur des civilisations m’a conduit à mener cette réflexion sur le relativisme. «Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas», a déclaré l’ancien ministre de l'intérieur. Grave erreur, il ne faut pas dire cela surtout quand on est ministre même si on le pense. Car après le règne de la «dictature du rationalisme», on note aujourd’hui une sorte de «dictature du relativisme».

Qu'est-ce que le relativisme ?

De relatif, du latin relatio : relation, rapport, le relativisme est une doctrine qui soutient qu'il n'existe pas de vérité absolue et prône la relativité dans tous les domaines de la connaissance : philosophie, sociologie, logique, morale et domine l’épistémologie contemporaine. Il est souvent présenté comme une conséquence de la faillite du modernisme. En effet la caractéristique du modernisme, c’est le rationalisme et son finalisme : animés de notre raison, nous pouvons non seulement comprendre le monde mais le transformer comme le recommande Marx. Malheureusement cette histoire radieuse s’est heurtée à une géographie sinistre : Verdun, Auschwitz, Hiroshima, New York (les attentats du 11 septembre 2001). Le modernisme a trouvé là son aboutissement. Les valeurs et le messianisme des religions du Livre, du Siècle des Lumières ou du Marxisme ont disparu de notre quotidien. L'évolution de la société et les progrès scientifiques mettent à rude épreuve nos valeurs et en tout premier lieu l’homme : après le contrôle des naissances, celui des décès, voici venir une vie assistée, surveillée, normalisée, une gestion rationnelle du troupeau humain dans un espace fragile et réduit. Nous vivons désormais dans un monde sans finalité et si nous ajoutons aux catastrophes citées : le djihad mondial, la mondialisation sauvage, le pillage de la planète, les guerres pour la maîtrise des sources d’énergie et bientôt de l’eau, nous voyons bien que le modernisme, dont le moteur est le progrès et la finalité une société heureuse, conduit à une impasse. Cet effondrement du modernisme et le désenchantement du monde qui lui est concomitant entraînent l’absence de repères, de règles générales qui puissent nous guider dans le quotidien. La caractéristique essentielle de notre temps est l’individualisme qui conduit au relativisme et ne concerne pas seulement la réflexion philosophique, mais aussi la science, l’art, le langage, la littérature. Sans loi morale ni valeurs absolues, nous devons décider nous-mêmes du Bien et du Mal, du Juste et de l’Injuste, du Vrai et du Beau. La thèse relativiste généralement admise peut se résumer à la formule consensuelle de «tout se vaut» car s’il n’y a plus de règles, plus de normes, alors effectivement tout se vaut. Ce banal «tout se vaut» place toutes les formes de savoir au même niveau d’incertitude et de confusion et comme disait Léo Strauss : «Si tout se vaut, le cannibalisme n’est qu’une question de goût culinaire». Devant une telle perspective conventionnelle, l’idée de prétention à une quelconque vérité universelle tombe au rang d’opinion circonstancielle ; l’épistémologie se dissout dans le sociologisme dominant. Chacun aurait sa propre représentation du monde, chaque peuple, chaque époque produiraient une ou plusieurs doctrines plus ou moins compatibles possédant un pouvoir de conviction seulement perceptible de l’intérieur. Chaque culture se refermerait sur soi comme une sorte d’idiome autonome reflétant pour soi seul une conception originale du monde. Toute comparaison serait téméraire ; que dire alors du moindre essai de hiérarchie ? Il est facile de glisser du «tout se vaut» à l’aphorisme qui a fait fortune grâce au théâtre de Pirandello : «à chacun sa vérité», au sens de : à chacun ses idées. Il n’y a pas de savoir qui l’emporterait par un effort de rigueur et de visée universelle, pas de vérité au singulier comme visée idéale régulatrice de la recherche intellectuelle. Aujourd'hui le relativisme est une philosophie défendue comme une vérité naturelle de l’homme. Les valeurs, la morale ou l'esthétique sont variables et dépendent des circonstances socio historiques. La vérité est relative à chacun ou au groupe social auquel on appartient. Le sens et la valeur des croyances, des coutumes et des comportements humains n’ont pas de références absolues. La recherche du vrai, ainsi que les notions de bien et de mal, sont liées aux circonstances. Tous les points de vue sont possibles et équivalents entre eux, ce qui rend toute objectivité impossible. Le relativisme conduit à une impossibilité logique car si toutes les opinions se valent alors inutile de discuter et chercher à avoir raison. Le relativisme conduit aussi à une impossibilité ontologique : la réalité n'est plus unique mais plurielle et disparaît derrière une somme d'apparences. La raison n'est pas partout la même car elle est façonnée par la culture et la société. Contrairement au relativisme, le scepticisme dont je vous ai parlé il y a deux ans croit que la raison humaine est impuissante à connaître la vérité. Il se peut qu'elle existe mais on ne peut ni l’affirmer ni le nier. Ceux qui nient son existence sont des relativistes théoriques car tous les sceptiques peuvent être relativistes en pratique, mais ils ne le sont pas nécessairement, puisque certains nient qu'on puisse atteindre la vérité mais admettent que certaines propositions sont plus probables que d'autres (Hume par ex), donc que toutes les propositions ne se valent pas. Quoi qu'il en soit, les relativistes sont des sceptiques absolus car ils abandonnent tout espoir d’appréhender la diversité des formes de connaissance de la réalité : philosophiques, scientifiques, religieuses. Amalgame et fragmentation conduisent finalement au même résultat : le «tout se vaut» rend le jugement discriminant impossible. Ce relativisme psychologique, social et historique à la fois, est le résultat d’une lente érosion qui a entraîné tout au long du XXe siècle une remise en question de la valeur et des certitudes des sciences ; un peu comme si, après la tentation scientiste du XIXe siècle, une sorte de contre-certitude devait conduire à un scepticisme radical.

Le relativisme est un mot utilisé pour disqualifier ceux qui ont des vérités à protéger et pour contester leurs valeurs supérieures. Il se décompose en général quand on l'examine du point de vue purement logique. La prémisse de base est que la vérité est relative. Hérodote, l'historien grec du 5ème siècle avant J.C., a observé que les sociétés ont des coutumes différentes et que chacun pense que les us et coutumes de sa propre société sont les meilleurs. Mais aucun ensemble de coutumes sociales, dit Hérodote, n’est vraiment meilleur ou pire qu'un autre. Certains sociologues et anthropologues contemporains ont fait valoir dans le même sens que la morale, parce qu'elle est un produit social, se développe différemment selon les cultures. Chaque société élabore des normes utilisées par ses membres pour distinguer un comportement acceptable d'un comportement inacceptable, et que tout jugement entre le Bien et le Mal l’est en fonction de ces normes. Chaque société a des sanctions : les lois pour imposer ses normes. Ainsi selon ces chercheurs, si des pratiques telles que la polygamie ou l'infanticide sont permises au sein d'une société, ces mêmes pratiques sont illégales dans une autre. Rien n’est vraiment légitime en dehors de ces codes sociaux, car nous ne pouvons nous référer à aucune norme de culture pour déterminer quel est le bon modèle de société. De nombreux relativistes refusent l’ethnocentrisme : croire que sa propre culture est supérieure aux autres. Ils prétendent que c’est essentiel pour la paix mondiale, s’appuyant sur de nombreux exemples historiques, lorsque des cultures ont commis des atrocités sur d’autres en raison de la perception qu’elles avaient de leur supériorité morale.

Ici-bas on s'accorde généralement pour dire que tout est relatif : un air frais le sera plus ou moins pour un gabonais, un esquimau, un chameau ou un pingouin. Une contrée éloignée est toujours plus près que l'étoile la plus proche. On est plus ou moins grand, jeune ou vieux, pauvre ou riche, plus ou moins fou, malade ou méchant par rapport à d’autres. Notre regard sur les choses varie suivant les pays, les époques : «Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà». Protagoras, le plus célèbre des sophistes considère que chaque individu croit ce qui est vrai pour lui. En ce sens il peut être considéré comme le précurseur philosophique du relativisme. On le connaît grâce aux dialogues de Platon. Dans le Théétète, il dit : «L'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas», c'est l'acte de naissance de la pensée relativiste. L’homme, mesure de toutes choses, s'écrit avec un h minuscule, c'est l'individu singulier, vous et moi : votre opinion vaut la mienne. En mettant un H majuscule, beaucoup d'humanistes ont récupéré la phrase pour mettre l'Homme au centre du monde à la place de Dieu. Pour mesurer quelque chose et lui donner une valeur, Protagoras considère que tout -la vérité, la bonté, la beauté et même l'existence- dépend de l'observateur humain. C’est l'idée que certains éléments, aspects de l'expérience ou de la culture dépendent d’un autre élément. Par conséquent, comme Aristote l'a exprimé, les choses ne sont ce qu'elles sont que par rapport à d'autres choses, et rien n'est ce qu'il est en vertu de lui-même. Le relativisme s'applique à différents domaines de la connaissance :

  • philosophie et épistémologie (sophistique grecque, scepticisme, criticisme, empirisme, pragmatisme) : il n'existe pas de vérité préexistante à toute théorie scientifique ; aucune vérité définitive ne peut être connue

  • culture et sociologie (relativisme culturel, historicisme) : il n'y a pas de culture meilleure qu'une autre, ni de comportement ou d'action meilleurs que les autres ; la rationalité n'existe pas, le mode de raisonnement dépend de la personne : polylogisme.

  • morale : la morale n'est ni absolue ni universelle, elle émerge de coutumes sociales et d'autres institutions humaines ; toutes les valeurs morales sont équivalentes.

Le relativisme cognitif soutient qu'il ne peut y avoir aucune connaissance universelle du monde, seulement des interprétations diverses de celui-ci. Voyons ce qu’en pensait Platon. Nous sommes au 5e siècle avant J.C. Il réfute le relativisme de Protagoras qui envahit les consciences et menace la loi naturelle. Pour Platon il y a deux mondes :

- le monde sensible, matériel et immanent, celui des phénomènes, c'est-à-dire des choses qui sont perçues directement par les sens

- et un autre monde auquel on ne peut accéder que par la raison, en suivant la méthode dialectique qu'utilisent les philosophes qui cherchent la vérité philosophique. Dans ce monde parfait, immuable, se trouvent les vérités absolues qu'il appelle les noumènes par opposition aux phénomènes : les notions de bien et de mal, la beauté, la justice, la science, la vertu. Au fond de leur caverne les hommes ont du mal à connaître ce monde. Le rôle des philosophes est de les y aider. Seuls les êtres humains ont cette capacité d'approcher la vérité grâce à la raison, c'est pourquoi contrairement aux animaux, ils sont libres et responsables. Le monde dual de Platon va avoir un bel avenir, sous deux versions, l'une religieuse; l'autre pseudo religieuse façon idéalisme allemand : Kant, Hegel. Le monde parfait et immuable des vérités absolues, des choses en soi, devient aisément la maison de Dieu, avec qui communiquent de temps à autres des prophètes qui nous livrent leur littérature cosmogonique et eschatologique. Ce lieu transcendant peut servir à placer tout ce qu'on ne comprend pas bien, et dont on ne souhaite pas trop voir discuter l'existence. C'est bien pratique d'avoir des valeurs absolues pour fonder une morale avec une dimension spirituelle ! Certains d'entre nous pensent comme Platon qu’il y a un autre monde, supérieur, transcendant, spirituel, un au-delà où on met des dieux. On appelle dualistes ceux qui croient à l'existence de deux mondes par opposition aux monistes. Je vais simplifier pour aller vite.

En philosophie le dualisme correspond à la description pour un domaine donné, de deux entités inséparables, irréductibles l'une à l'autre et qui coexistent (ex : esprit et matière, jour et nuit, blanc et noir etc.). Les dualistes (Platon, Saint Augustin, Bergson, Descartes) mettent dans le monde transcendant, par opposition au monde immanent, des vérités absolues : la pensée, le bien, le mal, l'âme, le sens de l'histoire, la conscience, le libre arbitre, la morale, l'amour de la patrie, les dieux. Les dualistes aiment bien convaincre, faire des systèmes, avoir des élèves, écrire des textes définitifs. Leur psychologie les porte plutôt à l’ordre, aux monuments, aux uniformes, aux défilés, aux rangs serrés, à une hiérarchie respectée. Nous voyons bien que le monde est divisé à cause de ce dualisme qui engendre les conflits : si on pense que l’autre a tort, peut-on pour autant affirmer que l’on a soi-même raison ? En 2003 Georges Bush revêtant ses habits de shérif texan est parti en croisade en Irak contre le Mal mais ses adversaires désignent depuis longtemps les États-Unis comme le grand Satan, leur lutte étant aussi celle du Bien contre le Mal : vérité ici, autre vérité là-bas. Les uns et les autres ne sont pourtant ni tout le Bien, ni tout le Mal.

Le monisme au contraire est une doctrine fondée sur la thèse selon laquelle tout ce qui existe –l'univers, le cosmos, le monde, l’homme– est essentiellement un tout unique constitué d'une seule substance. Les monistes sont généralement des raisonneurs qui se contentent de dire : oui, peut-être, sans doute, pas toujours, pourquoi, pourquoi pas, ça dépend, qui regardent derrière, au-dessus, au-dessous ou à côté. Leur caractère ne les pousse ni à suivre, ni à guider. Leurs questions, leurs sourires, leurs sarcasmes exaspèrent souvent l'autre groupe à l'endroit des vérités absolues quand ils les discutent. Toute classification a ses limites, mais cette ligne de partage me semble assez pertinente dans l'histoire des idées. A ce sujet il faut évoquer au moins Spinoza, Hegel, Hume, Schopenhauer, Nietzsche, Russell…

Au début des années de l’ère moderne, Spinoza a considéré que rien n'est intrinsèquement bon ou mauvais. Hume n’a pas épousé le relativisme mais a distingué entre les questions de fait et les questions de valeur et a suggéré que les jugements moraux ne se traitent pas avec des faits vérifiables, seulement avec nos sentiments et nos passions. Il considère certains de nos sentiments comme universels. Il nie que la morale ait une norme objective, et suggère que l'univers est indifférent à nos préférences et nos angoisses. Schopenhauer semble verser dans le relativisme, déclarant qu’il est impossible de déterminer si nous avons vraiment tort ou raison -L’art d’avoir toujours raison- Une fois rappelé que les stratagèmes rhétoriques sont indépendants de la vérité objective, et par conséquent que ceux-ci «peuvent aussi être utilisés quand on a objectivement tort», Schopenhauer ajoute dans une note de bas de page : «quant à savoir si c’est le cas, on n’a presque jamais de certitude à ce sujet». Ainsi, que l’on ait tort ou raison, le plus important semble de s’en tenir au moins à une position plutôt qu'à aucune. Nietzsche pense que nous devons évaluer la valeur de nos opinions car les valeurs sont relatives à nous-mêmes. Il a souligné la nécessité d'analyser nos valeurs morales et l’impact qu’elles peuvent avoir sur nous. Le problème avec la morale, selon Nietzsche, c'est que ceux qu’il considère comme bons et supérieurs sont les nobles puissants qui ont le plus d’éducation. Ainsi ce qui est jugé comme bon ou mauvais est relatif, l'importance et la valeur que nous lui accordons devraient également être relatives. Il a proposé que la morale elle-même puisse être un danger et qu’elle doit être construite par rapport à ce que nous sommes en tant qu'individus et considérons comme vrai : l'égalité, le bien et le mal, etc., au lieu de réagir à des lois morales faites par le groupe d'individus au pouvoir. Quant à Russell, il conteste l'existence de vérités purement formelles ou purement analytiques, dénuées de tout rapport avec la réalité physique.

Quand des études contemporaines considèrent l’histoire du relativisme, le plus souvent elles négligent la période médiévale, suggérant que les positions de l’Église catholique acceptées de façon absolue bloquaient tout développement et toute considération d’une approche relativisée de la vérité, des mœurs et de l’éthique. L'Église catholique a en effet toujours identifié le relativisme comme une menace pour la foi et la morale. Le mot revient périodiquement dans les encycliques papales. En 1884 Léon XIII condamne le relativisme philosophique qui envahit les consciences et menace la loi naturelle.-Humanum Genius-. Jean-Paul II dans son encyclique -Véritatis Splendor- avertit que l’homme en «s’abandonnant au scepticisme et au relativisme repart à la recherche d’une liberté illusoire en dehors de la vérité elle-même». Benoit XVI, condamne le relativisme dans tous ses discours : «on est en train de mettre sur pied la dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif». Quant au pape François, il déclare parlant de la pauvreté matérielle : «Mais il existe une autre pauvreté ! C’est la pauvreté spirituelle de notre époque qui afflige d’une manière particulièrement sévère les pays que l’on considère comme les plus riches. Et c’est ce que mon prédécesseur, le cher et vénéré Benoît XVI, a appelé la “dictature du relativisme”».

Le relativisme est identifié (généralement par ses détracteurs) par la thèse selon laquelle tous les points de vue sont valables. En matière d'éthique, cela revient à dire que toutes les morales se valent, en épistémologie que toutes les croyances sont vraies. Peut-être parce que le relativisme est associé à ces points de vue, peu de philosophes sont prêts à se déclarer relativistes. Cependant la plupart : Wittgenstein, Winch, Kuhn, Rorty, Foucault, Derrida ont partagé des idées plutôt relativistes.

  1. Ils ont tous affirmé que les valeurs morales, la beauté, le savoir, le goût, sont relatifs à un certain cadre particulier ou à un point de vue (celui du sujet individuel, d’une culture, d’une époque, d’une langue, ou d’un schéma conceptuel).

2. Ils nient tous que tout point de vue est unique et privilégié.

Il est ainsi possible de classer les différents types de relativisme d'une manière assez évidente. Les principaux genres de relativisme peuvent être distingués en fonction de l'objet qu'ils cherchent à relativiser. Ainsi les formes de relativisme moral affirment la relativité des valeurs morales et les formes de relativisme épistémologique affirment la relativité de la connaissance. Ces genres peuvent ensuite être décomposés en espèces distinctes, en identifiant le cadre dans lequel l'objet est relativisé.

A-Le relativisme moral

Le relativisme moral consiste à dire qu’il n’y a pas de morale absolue.et qu'il n'est pas possible de hiérarchiser les valeurs morales. Des penseurs naturalistes comme Spinoza ou Nietzsche, conserveront la pluralité des morales humaines tout en essayant de trouver des critères permettant d’en évaluer la valeur. Quelle est la valeur d'une morale ? La favorisation ou la nuisance à la vie humaine est le critère le plus souvent rencontré. Le relativisme moral a la distinction inhabituelle dans la philosophie, d'être attribué à d'autres presque toujours comme une critique. Il est le plus souvent associé à une thèse empirique où il y a de profonds désaccords et dit que la vérité et la justification des jugements moraux ne sont pas absolues mais relatives à un certain groupe de personnes et aux normes de sa culture. Chacun décide de ce qui est bien. Si une action est bonne ou mauvaise, cela dépend des normes morales de la société dans laquelle elle est pratiquée. La même action peut être moralement légitime dans l’une et répréhensible dans une autre. Il n'existe pas de normes universelles applicables à tous les peuples. Les seules normes contre les pratiques d'une société qui peuvent être jugées sont les siennes. Il ne peut y avoir aucun cadre commun pour résoudre les différends d'ordre moral ou pour parvenir à un accord sur les questions éthiques entre les membres de différentes sociétés. Le relativisme moral est attrayant pour de nombreux philosophes et sociologues, car il semble offrir la meilleure explication de la variabilité de la croyance morale. Il offre également une façon plausible d'expliquer comment l'éthique s'inscrit dans le monde telle qu'elle est décrite par la science moderne. Même si le monde naturel ne se compose finalement de rien, disent les relativistes, l'éthique a toujours un fondement dans les sentiments humains. Enfin le relativisme moral semble particulièrement bien adapté à expliquer la vertu de tolérance. Si à partir d'un point de vue objectif, ses propres valeurs et les valeurs de sa société n'ont pas de statut particulier, alors une attitude de «laisser vivre» à l'égard des valeurs d'autrui semble appropriée. Parfois le relativisme moral est relié à une position normative sur la façon dont nous devons agir envers ceux avec qui nous sommes moralement en désaccord et que le plus souvent nous devrions tolérer. Parmi les philosophes grecs, la diversité morale a été largement reconnue mais la réaction la plus fréquente non objective était le scepticisme moral, point de vue qu'il n'y a pas de connaissance morale et que la vérité est relative à une culture ou une société. Cette tendance s'est poursuivie pendant la majeure partie de l'histoire de la philosophie occidentale. Beaucoup de savants voient la première réapparition d'un esprit relativiste dans les écrits de Montaigne. Son relativisme exprime l'idée fondamentale que tout change et que le monde est en perpétuel devenir. Dans -Sur mesure-, Montaigne compile une liste des mœurs radicalement différentes dans différentes sociétés, et affirme que «les lois de la conscience naissent de la coutume». Dans son célèbre essai -Sur les cannibales- écrit autour de 1578, Montaigne décrit la vie des soi-disant barbares dans le nouveau monde, en notant leur bravoure au combat, la simplicité naturelle de leurs mœurs et leur structure sociale compliquée. Le but de cet essai est donc de critiquer l'ethnocentrisme des Européens civilisés qui se croient naïvement moralement supérieurs. En outre, la thèse générale de Montaigne est que ce «chaque homme appelle barbarie est ce qui n'est pas sa propre pratique, car en effet il semble que nous ayons aucun autre test de la vérité et de la raison que l'exemple et le modèle des opinions et des usages du pays où nous vivons». La prise de conscience croissante de la diversité morale des cultures de la part des Européens à l'époque moderne est un antécédent important de la préoccupation contemporaine du relativisme moral. Ce développement est largement dû à l'œuvre de Nietzsche qui a rejeté la foi naïve que les croyances de l'homme sont un simple reflet de la réalité. Au lieu de cela, chacune de nos croyances est ancrée dans une perspective ni correcte, ni incorrecte. En matière d'éthique en conséquence, il n'y a pas de faits moraux, mais seulement des interprétations morales des phénomènes qui donnent lieu à différents codes moraux. Nous pouvons essayer de comprendre ces morales en enquêtant sur leurs antécédents et sur la psychologie des personnes qui les adoptent, mais il n'est pas question de prouver que l’une ou l’autre soient vraies. Nietzsche -Généalogie de la morale- affirme que ceux qui acceptent le système éthique judéo-chrétien, qu'il appelle une morale d'esclaves, souffrent d’une faible personnalité. «Une différence plus affirmée de la personne, dit-il, serait de rejeter cette éthique et de créer ses propres valeurs». Sartre a essentiellement fait valoir que l’humanité est seule dans l’univers, et que nous n’avons aucun exemple de moralité vers laquelle nous tourner sauf celle que nous nous créons. On peut donc penser que toutes les valeurs morales ont une validité égale. L'impulsion principale pour une telle idée est venue de l'anthropologie culturelle. Les anthropologues ont été fascinés par la diversité des cultures et ont produit des études empiriques détaillées. Dès le début ils ont émis l'hypothèse de la supériorité européenne ou occidentale mais en 1947, à l'occasion du débat des Nations Unies sur les droits de l’homme, l'American Anthropological Association a publié une déclaration affirmant que les valeurs morales sont relatives aux cultures et qu'il n'y a aucun moyen de les hiérarchiser. Tous n'ont jamais été unanimes à l’affirmer et récemment certains ont atténué l'orientation relativiste de la discipline. On peut supposer qu’en ce qui concerne le meurtre en général, tous les peuples seraient d'accord pour le condamner. Au contraire dans certaines cultures, il peut être jugé qu'un mari a le droit de vie ou de mort sur sa femme ou qu'il est du devoir de l'enfant de tuer ses parents avant qu'ils ne soient vieux. Chez certains peuples une personne souffre d'avoir causé un décès accidentel, chez d’autres cela n’a aucune conséquence. Le suicide peut être l'acte le plus noble qu’un homme sage puisse effectuer ou au contraire être un crime punissable par la loi. Ainsi les anthropologues pointent une gamme de pratiques considérées comme moralement acceptables dans certaines sociétés mais condamnées dans d'autres : l’excision, l'infanticide, le génocide, la polygamie, le racisme, le sexisme. Ces différences peuvent nous conduire à nous demander s'il existe des principes moraux universels ou si la moralité est simplement une question de goût culturel. Un second type d'argument pour le relativisme moral est dû au philosophe David Hume qui a affirmé que les croyances morales sont fondées sur le sentiment ou l'émotion plutôt que sur la raison. Cette idée a été développée par des philosophes tels que Charles Stevenson et Richard Mervyn Hare qui ont jugé que la fonction première du langage moral n'est pas d'énoncer des faits mais d’exprimer des sentiments d'approbation ou de désapprobation envers une action ou d'influencer les attitudes et les actions des autres. Sur ce point de vue connu sous le nom d’émotivisme, le bien et le mal sont relatifs aux préférences individuelles plutôt qu’à des normes sociales. Au début des années 1960 et 70, le relativisme moral a été associé au postmodernisme, (néologisme créé par Jean-François Lyotard en 1979 avec la publication de son ouvrage -La condition postmoderne- hérité surtout de la conception qu'une époque avait de sa condition). Pour ce qui nous concerne la postmodernité c’est notre temps, elle vient en continuité et en rupture avec la modernité. Ce mouvement philosophique recouvre bien des nuances d'interprétation : les vérités de la science ainsi que l'éthique doivent être reconnues comme des croyances associées à des traditions particulières servant à des fins particulières dans des temps et des lieux particuliers. L’ennemi c’est la vérité, qu’elle soit d’origine religieuse ou scientifique, car il n’y a pas d’autre vérité que le consensus social. Le désir d'absolu est considéré comme une quête erronée de l'impossible. Une source fréquemment citée pour le relativisme philosophique postmoderne est un fragment d’un texte de Nietszche, -Vérité et Mensonge. On inclut souvent derrière cette appellation les philosophies de Foucault, Deleuze et deDerrida mais aussi d’Althusser, Castoriadis, Baudrillard, Guattari, Irigaray, Badiou, Nancy, Lacoue-Labarthe, Julia Kristeva en France ; Feyerabend, Cavell, Rorty, Jameson, Butler, Ronell aux Etats-Unis et quelques autres, qui ont en commun une posture de critique et de méfiance, de liberté voire de rupture vis-à-vis des traditions idéologiques de la modernité en Occident. Le relativisme postmoderne est un relativisme ethnocentré et socialement marqué. C’est une théorie qui permet aux dominants de continuer à justifier leur domination. Ce relativisme nie toute référence à l’universalisme, il se pare de la critique de l’ethnocentrisme pour maintenir, par l’utilisation de la différence, une hiérarchie fondée sur la culture. Il n’est relativiste qu’en apparence car il juge par rapport à son propre centre de valeur qu’il considère implicitement comme supérieur. L'idée même d’objectivité serait une invention douteuse de la modernité. Ils pensent que la société occidentale a dépassé l'ère moderne intellectuelle et est maintenant dans une période postmoderne caractérisée en partie par la réalisation que la vie humaine est une mosaïque comprenant de nombreuses perspectives. Les vérités sont un complexe qui désigne un ensemble de discours et de travaux apparus en majorité en France. Il regroupe des pensées qui développent une forte critique de la tradition et de la rationalité propres à la modernité occidentale. Il propose des manières nouvelles de questionner les textes et l'Histoire, influencées notamment par le marxisme, la critique kierkegaardienne et nietzschéenne de la rationalité, la phénoménologie de Husserl et de Heidegger, la psychanalyse de Freud et de Lacan, le structuralisme de Lévy-Strauss, mais aussi par la Linguistique de Saussure. L'unité de ces pensées, comme le nom sous lequel on les regroupe, soulève toutefois de nombreux désaccords. Ainsi Foucault refusait pour sa part l'appellation postmoderne, se revendiquant plutôt de la modernité. Beaucoup de postmodernistes remettent en question l'idée d'objectivité dans de nombreux domaines, y compris l'éthique. La plupart des philosophes de l'époque des Lumières et des scientifiques croyaient qu'il y avait une vérité universelle de tout, de la science, de l'éthique, de la religion, et de la politique et que la raison humaine est assez puissante pour découvrir cette vérité. Le résultat final de l'enquête rationnelle par conséquent devait être une science, une éthique, une religion, et une politique qui seraient valables pour toutes les personnes dans toutes les époques. Selon le postmodernisme au contraire, l'idée des Lumières considérant que la raison humaine est capable de connaître objectivement la vérité, idée qui a influencé la pensée de pratiquement tous les scientifiques et les philosophes modernes, est une illusion qui s’est maintenant effondrée. «La postmodernité, écrit André Comte-Sponville, c’est ce qui reste de la modernité quand on a éteint les Lumières».

B-Le relativisme culturel

Le relativisme culturel doit être distingué du relativisme cognitif qui est surtout le fait de la sociologie des sciences dont l’influence ne s’étend guère au-delà d’un public restreint et est en déclin. Le relativisme culturel apparaît comme beaucoup plus tenace. Ce concept a de l’importance pour les philosophes et les anthropologues mais est une thèse peu défendue avant le XIX° siècle. Les philosophes explorent comment la vérité de nos croyances dépendent ou non de notre vision du monde, de notre culture. De leur côté, les anthropologues essaient de décrire le comportement humain. Pour eux le relativisme se réfère à une méthodologie avec laquelle le chercheur tente de suspendre son propre biais culturel pour comprendre les croyances et comportements dans leurs contextes locaux. Écartant les jugements moraux, le relativisme culturel proclame la tolérance et l’égalité. Les sociétés primitives et les sociétés avancées sont équivalentes et toutes les cultures se valent. Avant le vingtième siècle, les philosophes ne se sont pas sentis obligés de défendre cette position. L'ethnologie est une discipline relativement récente des sciences humaines qui a fortement contribué à la connaissance des cultures non occidentales. Ce savoir a d'autre part substitué à l'ancienne anthropologie évolutionniste une nouvelle manière d'appréhender la diversité des cultures : le relativisme culturel découle de l'observation et de la connaissance des cultures étrangères. Il affirme comme principe, l'idée qu'il est impossible d'attribuer des valeurs comparatives aux cultures et de les distribuer selon un ordre hiérarchique -Race et Histoire- Claude Lévi-Strauss.

C-Le relativisme esthétique

La beauté n'est pas une valeur absolue, «une chose en soi» a dit Kant, elle dépend du jugement des personnes conditionnées par leur environnement social, le temps ou le lieu. Concernant l’esthétique, peut-on penser qu’il existe des valeurs absolues gouvernant ce qu’est le beau ? Le beau n’est-il pas plutôt relatif à une culture, à des conditions sociales, à des modes ? Mais alors comment préserver une certaine autonomie de l’art, comme faire que le goût ne soit pas purement arbitraire. Contrairement à l'affirmation «Les goûts et les couleurs ça ne se discute pas !», l’œuvre d'art est toujours sujette à discussion. L'appréciation du beau dépend des goûts et de la sensibilité de chacun mais loin d'enfermer l'autre dans son opinion particulière, il s'agit de le convaincre, de l'éprouver et peut-être de changer soi-même de jugement à l'occasion de cette confrontation. Un exemple très rebattu des relativistes est celui des goûts en matière de musique : pourtant il est difficile de trouver une personne pour ne pas reconnaître que le Requiem de Mozart est sublime et que Bach est d’évidence un grand compositeur. Autre exemple : la féminité comme la montre la Vénus de Willendorf et les peintures de Rubens sont aujourd'hui jugées comme trop charnelles et la représentation du corps féminin chez les peuples primitifs est souvent considérée comme grotesque par la société occidentale tandis que les top models sur les couvertures des magazines contemporains n’auraient sans doute pas été regardés favorablement par nos prédécesseurs. Le relativisme esthétique peut donc être considéré comme un sous-ensemble du relativisme, qui nie toutes normes absolues de vérité. Mais il est semble-t-il relatif car certains critères de qualité existent et la véritable appréciation et l’amour de l’art vont toujours au-delà.

D-Le relativisme temporel

Il existe aussi un relativisme temporel à la base de l'erreur de raisonnement consistant à considérer l'opinion la plus récente comme la meilleure. Comment peut-on penser une chose pareille en 2013 ? La plupart des jugements progressistes se ramènent au choix d'un moment comme point de repère. Celui-ci dit que ce qui était juste auparavant n’est plus légitime à l'époque actuelle parce que la société a évolué. Il y a cent ans les femmes n'avaient pas le droit de vote, mais en raison de l'évolution des opinions dans la société, elles l’ont maintenant et occupent des postes importants dans les institutions, les entreprises etc. La société accepte donc la nécessité de modifier les règles qui étaient suffisantes dans les périodes précédentes. Par ailleurs les sciences ont évolué et ce qui était vrai hier ne l’est plus forcément aujourd’hui ce qui peut justifier en partie le relativisme temporel.

E-Le relativisme épistémologique

Appliqué à la science, le relativisme épistémologique est souvent assimilé à un relativisme radical, car lorsqu'on doute du caractère absolu de la vérité en science, on en doute dans tous les autres domaines.

2-Critique du relativisme

Pour évidente et séduisante qu’elle paraisse, cette suspension de tout projet universel en terme de vérité est discutable. Dans sa présentation réductrice et isolationniste, le relativisme contient une contradiction intime sérieuse qui en ruine l’hypothèse même. En effet, dire «à chacun sa vérité», c’est s’exposer à voir tomber l’universalité de la formule sous le coup du relativisme qu’elle professe. Si tout est relatif, «à chacun sa vérité» cette maxime qui énonce une vérité valable pour tous est elle-même relative. Paradoxalement si chaque déclaration de vérité est valide, alors la mention «certaines vérités sont absolues» doit être valide et la déclaration «il n'y a pas de vérités absolues» selon le relativisme doit s’appliquer à lui-même. Cette contradiction signifie que le relativisme absolu est auto-contradictoire. On se retrouve devant l’un des arguments subtils d’Eubulide de Mégare, connu sous le nom de paradoxe du menteur : Épiménide le Crétois dit que «tous les Crétois sont des menteurs». Il ment puisqu’il est crétois, ce qui aboutit à une aporie. En ce qui concerne le relativisme moral nous devons établir ce qui est bien et ce qui est mal afin de mener nos vies dans la société. Mais si on le considère par rapport à nos mœurs, ce concept n’a pas de sens car il est réduit aux préférences individuelles. Par exemple, un relativiste pourrait penser que tuer une personne innocente est un comportement moral parce que c'est son opinion. Son comportement n'est pas bon bien sûr d'un point de vue objectif. On peut être un criminel sincère, cela ne retire rien à son crime en tant que tel. En outre, il ne pourrait pas être jugé en vertu du relativisme parce que sa conduite serait considérée comme un droit. De toute évidence, l'humanité ne peut pas prospérer dans ces conditions. Le relativisme moral est une doctrine radicale qui est contraire à ce que beaucoup de gens souvent assument. En tant que tel, il ne devrait pas être confondu avec la pensée incontestable que ce qui est légitime dépend des circonstances. Tout le monde est d’accord que ce sont les circonstances qui font la différence. Qu’il soit moralement admissible d’entrer dans une maison, par exemple, dépend si l'on en est le propriétaire, un invité, ou un cambrioleur. Le relativisme moral n’est pas non plus simplement l'idée que les gens ont des croyances différentes sur l'éthique, ce que personne ne niera. Il est plutôt une théorie sur l'état des croyances morales, selon lequel aucune d'entre elles n’est objectivement vraie. Une conséquence de cette théorie est qu'il n'y a aucun moyen de justifier un quelconque principe moral comme universel. Il ne s'agit pas de savoir s'il existe un code moral objectif sur lequel tout le monde pourrait se mettre d'accord, ni de savoir si chacun peut avoir sa propre morale compte tenu de ses propres critères d'évaluation. Il s'agit de faire en sorte que chacun puisse poursuivre sa vision de la morale sans empêcher quelqu'un d'autre de suivre la sienne. Mais les critiques font remarquer que si le relativisme moral est justifiable, cela voudrait dire que même les pratiques les plus scandaleuses, comme l'esclavage et les violences physiques faites aux femmes, sont légitimes si elles sont tolérées par les normes de la société concernée. Le relativisme nous prive donc d'un moyen de soulever des objections morales contre d’horribles coutumes sociales, si ces coutumes sont approuvées par les codes des sociétés dans lesquelles elles existent. Pour les relativistes, les soi-disant bienfaits de la civilisation apparaissent parfois comme des maux : la civilisation attise nos désirs illusoires en inventant en permanence des biens superflus. Proche de l’animalité, l’homme primitif, immergé dans la nature serait plus heureux. C’est la civilisation qui ruine le bonheur et entraîne l’homme sur un long chemin de perversion. Le relativisme entre en correspondance avec l’individualisme, pour accorder la valeur primordiale à la volonté individuelle. Individualisme et égalitarisme sont ses constituants principaux. Celui qui épouse le relativisme s'engage au conformisme social qui rend impossible le progrès en matière de morale. Le relativisme soutient que le seul fondement de ce qui est bien ou mal réside dans ce que le groupe ou la société auxquels on appartient autorise ou sanctionne. Dans toute société, il y a des lois qui assurent son bon fonctionnement et qui réglementent formellement beaucoup de nos comportements. Est-il bien ou mal de voler ? Il est mal de voler, déclare le relativiste, car dans notre société, il y a des lois qui punissent le vol. Ce qui est bien, c'est ce qui est légal. Le relativiste épouse donc une forme de conformisme social. S'il fait le bien, c'est parce que la loi l'exige, et non parce qu'il s'y sent moralement tenu. Il évite par exemple de conduire en état d'ébriété, non parce qu'il trouve préférable d'éviter de mettre en danger la vie d’autrui, mais par crainte des pénalités qui pourraient en résulter s'il se faisait arrêter. Pour le relativiste agir moralement, c'est donc agir en conformité avec la loi. Pour lui est moral ce qui est socialement acceptable et légal. Il ne peut en être autrement puisque pour le relativisme, la morale n'est rien d'autre que l'ensemble des règles auxquelles la plupart des gens se soumettent dans un milieu donné, à une époque donnée. Quelqu'un agit bien s'il fait comme tout le monde, suivant le code moral en vigueur. Ce conformisme n'est pas acceptable d’'une part, parce qu'il peut y avoir de mauvaises lois : une loi qui exige la ségrégation raciale ou celle qui encourage la délation par exemple. Même si ce sont des lois, nous devons leur désobéir. Il n'y a pas de place pour les anticonformistes et les réformateurs dans le genre de société auquel nous engage le relativisme. Par ailleurs, les lois seraient édictées à l'unanimité puisque la contestation ou la critique individuelle n'a aucun sens. L'histoire de l'humanité regorge d'exemples de réformateurs et d'anticonformistes dont le point de vue isolé au départ, a gagné ensuite de plus en plus d'adhérents. Si la société avait été relativiste, jamais nous aurions vu ces grands réformateurs, tels Socrate, Jésus, Luther, Rousseau, Marx, Martin Luther King, Gandhi etc., sortir de la masse pour lutter contre l'esclavage, l'oppression des démunis et faire progresser la reconnaissance des droits de l'homme. Ces réformateurs ont critiqué certaines lois, habitudes, coutumes ou mœurs de leurs sociétés parce qu'ils les jugeaient moralement inadmissibles. Ils ont fait appel à des idées définissant le bien et le mal, par opposition à ce que pensaient la plupart des gens de leur époque. Il n'est pas facile de dire ce qu'est le bien et le mal, mais c'est une idée que la plupart d'entre nous comprennent, à moins d'être des conformistes obéissant servilement aux règles sociales, comme nous y invite le relativisme. La plupart des éthiciens rejette la théorie du relativisme moral. Certains prétendent que si les pratiques morales de sociétés peuvent différer, les principes moraux fondamentaux qui sous-tendent ces pratiques ne le peuvent pas. Par exemple, dans certaines sociétés, tuer ses parents quand ils ont atteint un certain âge a été une pratique courante, issu de la conviction que les vieux étaient mieux dans l'au-delà. Si une telle pratique est condamnée dans notre société, nous sommes néanmoins d'accord sur le principe moral sous-jacent -le devoir de s'occuper de nos parents. Nous pouvons diverger dans l’application de principes moraux fondamentaux, mais être d'accord sur les principes. En outre certaines croyances morales sont culturellement relatives tandis que d'autres ne le sont pas. Certaines pratiques, telles que les usages concernant l'habillement et la décence peuvent dépendre de la coutume locale, tandis que d'autres comme l'esclavage, la torture ou la répression politique, peuvent être régis par des standards moraux universels. Il y des valeurs que l’on ne peut relativiser et en premier lieu celle du respect de la personne humaine. En résumé si certaines pratiques sont relatives cela ne signifie pas que toutes les pratiques sont relatives. Les philosophes relativistes affirment que si le bien ou le mal dépendent des normes d'une société, il s'ensuit que l'on doit se conformer à ces normes et que s’en écarter c’est agir immoralement. Cela signifie que si je suis un membre d'une société qui croit que les pratiques raciales ou sexistes sont moralement admissibles, je dois accepter ces pratiques comme justes. Mais un tel point de vue ne laisse aucune place à l'amélioration morale de la société. En outre, les membres d’une même société peuvent avoir des opinions différentes sur les pratiques. Aux États-Unis, par exemple, une variété d'opinions morales existe sur des questions allant de l'expérimentation animale à l'avortement. Qu'est-ce qui constitue une action morale quand il n’y a pas de consensus social ? D'autres philosophes affirment que des standards moraux universels peuvent exister même si certaines pratiques morales varient selon les cultures. Ils cherchent à déterminer par la raison la teneur d'une loi morale universelle et objective. En d'autres termes, nous pouvons reconnaître les différences culturelles et les croyances morales mais en condamner certaines. La pratique de l'esclavage en pré-guerre de la société civile des États-Unis et celle de l'apartheid en Afrique du Sud étaient mauvaises malgré les croyances de ces sociétés. Le traitement des Juifs par les nazis était moralement condamnable quelles qu’étaient les convictions morales de la société nazie. Même si la théorie du relativisme moral est rejetée, il faut reconnaître que le concept soulève des questions importantes. Il nous rappelle que les sociétés ont différentes croyances morales profondément influencées par leur culture. Pour les sociologues postmodernes, les théories scientifiques sont des constructions reposant sur des présupposés arbitraires et ne constituent qu'un mode de connaissance tributaire de pressions sociales ou de convictions religieuses. Pour les épistémologues postmodernes, le relativisme est une conséquence directe des travaux de Cercle de Vienne en logique mathématique. Ceux-ci culminent avec le théorème de Gödel qui implique qu'aucune logique ne saurait se poser comme absolu de référence. Pour les linguistes modernes depuis Ferdinand de Saussure, le relativisme se fonde sur l'arbitraire de la relation entre signifiant et signifié. Pour les penseurs postmodernes l’objectivité de la connaissance scientifique est plus ou moins contestée ; la contestation du réductionnisme aboutit chez certains au déconstructionnisme (Derrida) selon lequel le contexte est plus significatif que le texte, que le monde est une illusion, «n'importe quoi signifie n'importe quoi», et pour les théologiens à la désacralisation et au syncrétisme : le cardinal Ratzinger écrit dans Le sel de la terre (Flammarion-Cerf 1997) que le christianisme subit en ce moment «une fantastique perte de sens» qu'il impute notamment au «courant relativiste» et à notre «conscience de la relativité». Henri Tincq résume dans Le Monde la thèse du Cardinal : «aux absolus d'hier a succédé l'ère du relatif dans le domaine religieux, moral ou politique. Tout ce qui est proposé comme vérité universelle ou comme norme générale passe pour dogmatique, autoritaire et contraire à la tolérance et au pluralisme revendiqués comme des critères infaillibles».

Ne devrions-nous pas être tolérants envers les autres cultures ? Les critiques répondent que cela dépend du genre de différences sociales en cause. La tolérance peut sembler une bonne politique quand les différences entre les cultures concernées sont bénignes, mais elle n’est pas tolérable lorsque, par exemple une société s'engage dans un génocide officiellement approuvé au sein de ses propres frontières. Dans tous les cas, il s'agit d'une erreur de penser que le relativisme implique que nous devrions être tolérants, parce que la tolérance est tout simplement une valeur sur laquelle les personnes ou les sociétés peuvent être en désaccord. Le relativiste pense qu’on ne peut pas juger une société, toutes étant équivalentes. S’il est vrai qu’un jugement moral sur une société est hasardeux, il est aussi évident qu’une société évoluée est plus riche en accomplissements techniques et culturels. Une société restée à l’état primitif peut être une société parfaitement harmonieuse et heureuse, ce qui invalide tout jugement de valeur. L’être humain peut très bien vivre sans confort technique et sans culture intellectuelle, mais qu’une société avancée soit techniquement et culturellement plus riche est une évidence, et l’affirmer n’est pas un jugement de valeur mais un simple constat. Les sociétés ne sont pas équivalentes mais différentes, et prétendre qu’elles se valent est un jugement relativiste. En outre, si nous voulons parfois critiquer les valeurs de notre propre société, le relativisme moral nous prive des moyens de le faire. Nous ne pouvons pas donner un sens à réformer ou améliorer la moralité de notre société, car il n'y a pas de normes sur laquelle les pratiques existantes de notre société pourraient être jugées déficientes. Abandonner l'esclavage, par exemple, n’a pas été un progrès moral, car il n’a fait que remplacer un ensemble de normes par un autre : adieu l’esclavage classique, bonjour l’esclavage salarié ! Les critiques font également remarquer que le désaccord au sujet de l'éthique ne veut pas dire qu'il ne peut y avoir de vérité objective. Après tout, les gens ne s'entendent pas toujours sur des questions scientifiques. Si certaines personnes croient que les maladies sont causées par de mauvais esprits, d'autres pensent qu'elles sont provoquées par des microbes ou des virus, nous ne pouvons pour autant en conclure que les maladies n’ont pas de vraies causes. La même chose au sujet de l'éthique : un désaccord peut seulement signifier que certaines personnes sont plus éclairées que d'autres. Les anthropologues ont observé que, bien qu'il y ait des différences d’une culture à une autre, il y a des valeurs que toutes les sociétés ont en commun. Certaines sont en fait nécessaires pour que la société existe. Sans des règles exigeant la vérité, par exemple, il ne pourrait y avoir aucune communication, et sans des lois contre l’assassinat ou l’agression, les gens ne pourraient pas vivre ensemble. Les critiques généralement rejettent ces opinions comme incohérentes car elles impliquent l'idée que le relativisme est faux. Ils avancent également que ces points de vue sont pernicieux car ils minent l'entreprise de tenter d'améliorer nos façons de penser. Que préférez-vous ? Un scientifique qui reconnaît les absolus des mathématiques ou quelqu'un qui croit ce qu'il veut faire croire ? Comme pour n'importe quel autre choix, le relativisme a des conséquences certaines dans nos vies et ses principaux impacts touchent l'individualisme, la morale, et la connaissance qui sont les aspects clés d'une société pour s'épanouir. Au niveau individuel, le relativisme contredit la nature humaine et provoque la stagnation personnelle parce que, bien que nous ayons la capacité intrinsèque à percevoir la réalité, nous tournons le dos à cette particularité afin d'opter pour une manière irrationnelle de penser. Lorsque nous ne reconnaissons pas la réalité comme un absolu, nous ne pouvons pas atteindre un objectif réel dans nos vies. Par exemple, à un étudiant qui veut devenir un scientifique et dont la philosophie est le relativisme, son professeur dit que 1+1 = 2, et que cela est une vérité absolue. Comme il pense que la vérité est relative, pourquoi cet étudiant devrait-il accepter cette équation ? Et s'il ne tient pas compte de la vérité absolue de cet axiome mathématique, que peut-il vraiment apprendre sur des idées scientifiques plus complexes ? Est-il susceptible de devenir un bon scientifique ? Au niveau de la cognition notre capacité à absorber et à développer des connaissances a grandement favorisé notre évolution en tant qu'espèce. Par définition la cognition, qui est le processus mental du savoir, exige l'absolutisme. Pour acquérir des connaissances, nous devons penser de façon logique, ce qui signifie que nous devons accepter et comprendre les faits objectifs de la réalité. La connaissance sans faits objectifs et sans la raison ne peut pas être considérée comme une connaissance, mais au contraire comme une simple croyance. Par exemple je peux croire que, quand je jette une pierre dans l'eau, la pierre va flotter. Il n'y a aucun fait objectif pour prouver mon affirmation. Par conséquent, elle ne peut pas être considérée comme une connaissance. Donc ceux qui défendent le relativisme doivent prendre conscience que toutes les améliorations (scientifique, technologique) pour rendre leur vie meilleure sont fondées sur des faits absolus. Sans les absolus que la connaissance fournit, nous vivrions encore à l’âge de pierre. On ne peut rien construire sur des croyances. En d'autres termes, les absolutistes cherchent à acquérir des connaissances pour améliorer leurs propres vies et les vies des autres. Cette condamnation du relativisme est une formidable incitation à une exigence permanente pour faire l'effort de connaître la réalité y compris celle subjective et singulière des sentiments individuels.

Ce qui s’oppose au relativisme : l’absolutisme ou le rationalisme

Selon l'Encyclopédie du Nouveau Monde, le rationalisme a commencé avec la philosophie morale de Kant et son impératif catégorique qui consiste à soutenir qu’il y a des valeurs absolues. Que l'éthique puisse être comprise par l'absolutisme moral signifie simplement que les questions éthiques ne sont pas fonction de la situation d'un individu, mais restent clairement définies quelles que soient les conséquences. Certaines valeurs peuvent être considérées comme universelles : les droits de l’homme, la liberté, l’égalité, la démocratie, la tolérance, le respect des autres et de soi-même. La connaissance de ces valeurs peut provenir d'une variété de sources. Le plus grand obstacle pour un rationaliste est la question : d’où viennent les vérités éthiques ? Pour un théiste, elles viennent de Dieu. Pour d'autres, il suffit de faire appel à la conscience humaine. Parce que les rationalistes prétendent connaître la vérité, ils sont capables de porter des jugements sur ce qui est bien et mal. Un absolutiste croit que la vérité peut être définie et donc peut être légiférée et appliquée. Une personne qui croit en l'éthique ne devrait pas changer d’idée en fonction de sa culture ou de son éducation et devrait avoir une position claire sur les questions morales. Par exemple, un rationaliste peut penser que l’homosexualité est immorale mais que la revendiquer est applicable à tout le monde. Des penseurs idéalistes comme Kant chercheront à démontrer l’unicité de la morale en laïcisant la morale chrétienne qui se veut unique et universelle. Mais peut-il exister un impératif catégorique qui dicte à chacun de manière absolue sa conduite ? «Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature.» Est-il même souhaitable qu’existe un tel impératif qui, en tant qu’inconditionnel, ne puisse être remis en cause dans des situations particulières ? La théorie de Kant est basée sur le bien fondé des principes de conduite tirés de la raison qu’il étaye de façon circulaire par le caractère satisfaisant de leurs conséquences. C'est la troisième branche de l’impasse que Hans Albert a appelée le «trilemme de Münchhausen» rappelant le baron légendaire qui réussit à se sortir d’un marais dans lequel il était tombé en se soulevant lui-même par les cheveux.

Avantages et inconvénients de l’absolutisme

Il permet que des règles morales soient évaluées de façon critique. Il est juste que les gens soient traités de la même manière et que les règles soient les mêmes pour tout le monde. Si une règle morale est juste, alors il n'y a pas besoin d'avoir des règles différentes, parce que cette règle est universelle. Les absolutistes éthiques peuvent condamner des pratiques telles que la persécution nazie des Juifs parce qu’ils donnent des directives précises quant à ce qui est le bien et le mal. En revanche le rationalisme est inadapté parce qu'il ne tient pas compte des limites humaines et prétend élever la seule raison comme mesure de toute chose. Parfois il n'est pas approprié de traiter les gens en raison même des circonstances qui surviennent en raison de situations particulières. Dans la vie tout n'est pas simplement noir et blanc et comme c'est le cas, on ne peut pas obliger tout le monde à vivre selon les mêmes règles. L'absolutisme qui, après avoir enfermé l'humanité dans la caverne de Platon ou la vallée de larmes de la Bible, se croit autorisé à la sauver par une vérité révélée et mystique est donc à rejeter.

Avantages et inconvénients du relativisme

Il permet d’accepter la diversité présente dans le monde et à chacun d’avoir raison. Les sociétés peuvent croire que leurs pratiques sont plus justifiables que d’autres, et l’approche relativiste en permet l'acceptation. Le relativisme dit que rien n'est intrinsèquement bon ou mauvais. Il évite le dogmatisme et le fanatisme. Il est populaire à l'époque actuelle, car on pense que tout le monde devrait être tolérant à l'égard des autres croyances et des opinions. Pour diaboliser les relativistes, l'argument est toujours le même : discuter une vérité absolue équivaudrait à dire que tout est égal, que rien n'a d'importance, et aboutirait au tout est permis, façon Diogène et son tonneau, ou à un nihilisme total style Stirner : c'est tout le contraire. «Si rien n’existe, comme l’a dit Woody Allen j'ai payé ma moquette beaucoup trop cher». Relativiser, c'est mesurer le pour et le contre, c'est hiérarchiser, nuancer, distinguer l'envers et l'endroit, dans un monde imparfait, complexe, changeant. Relativiser n'est ni une doctrine ni une idéologie, c'est simplement une attitude épistémologique. Mais beaucoup ont besoin d'un système de doctrines et de promesses qui éclaircit les énigmes du monde et leur assure une providence attentionnée devant la mort. La quête anxieuse d'une explication presse de conclure pour offrir des vérités simples et carrées. Des religions ou quelque chose qui y ressemble restent un moyen pratique pour fonder l'ordre moral nécessaire au fonctionnement d'une société. D'accord avec Voltaire et Sarkozy, si rien ne prouve que le fait de relativiser débouche sur l'immoralisme. Voir : Protagoras, Épicure, Lucrèce, Montaigne, Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche, Camus, et tant d'autres : ce ne sont pas des chemins aisés. Mais s'il y a différents points de vue moraux, ceci ne signifie pas qu'ils sont tous de valeur égale. Par exemple, les nazis ont cru qu'ils étaient en droit de tuer des millions de Juifs, les tziganes, les homosexuels et les personnes handicapées. Les relativistes ne sont pas en mesure de critiquer les nazis car ils estiment que toutes les cultures ont des valeurs égales. Le relativisme a réduit en fin de compte le sens de ce qui est bien à ce qui est socialement acceptable. On peut en effet glisser facilement du tout se vaut au tout est permis : si sa culture lui permet de battre sa femme, le relativiste peut dire que battre sa femme est moralement acceptable. Enfin le relativisme peut aisément verser dans deux extrêmes : le nihilisme selon lequel rien n’a de valeur, pas même la vie et le solipsisme selon lequel le monde se résume à des subjectivités individuelles, chacun restant isolé de tous les autres dans son propre univers. La civilisation européenne désormais dépourvue de croyances, désespérant de l’avenir, honteuse de son passé, est traversée par des morales contraires. L’éducation nationale, dans les programmes d’histoire, a introduit le relativisme à l’école. Considérées comme trop euro-centriques, certaines sections de l’histoire de France, comme le règne de Louis XIV, ont été remplacées par l’étude des sociétés africaines. Pour corriger un biais trop favorable à la civilisation européenne, on explique nos erreurs et nos fautes. En horreurs on n’a rien à envier aux autres civilisations. Le relativisme préfère juger une civilisation non pas par ses accomplissements mais par ses méfaits, surtout la nôtre. La repentance fait partie essentielle de l’éthique postmoderne. Avoir honte de notre civilisation est politiquement correct. Il est important que les élèves comprennent que notre civilisation n’est pas que celle de Molière et Shakespeare, de Descartes et Kant, de Mozart et Schubert, d’Einstein et des Curie. Elle n’est pas que celle de la démocratie, des droits de l’homme et des Lumières, ou de l’invention de l’imprimerie et de l’électricité. Elle est aussi celle de la colonisation, de l’esclavage, des génocides, celle de l’inhumanité et de la barbarie, de l’Inquisition et du fascisme, celle qui méprise les autres civilisations moins évoluées, qu’il faut à présent apprendre à respecter, en corrigeant la fausse surestimation de la nôtre nullement digne d’un respect particulier. Bref, on enseigne l’idéologie nihiliste du relativisme qui refuse toute échelle de valeurs considérée comme préjugé. C’est l’idéologie de l’interdiction d’interdire, celle que l’éducation nationale affectionne depuis des décennies, avec les résultats qu’on connaît. Ainsi, en ne se nourrissant face au passé que du remords et face à l’avenir que des craintes, le lieu est étroit sur lequel s’adosser.

Relativisme vs absolutisme

Pensez-vous qu'il soit possible de trouver, entre relativisme et absolutisme, un moyen terme qui nous donne malgré tout la possibilité de se raccrocher à des convictions consistantes ? Pour les scientifiques postmodernes, le relativisme se fonde en physique sur les indéterminations quantiques, en mathématiques sur la théorie du chaos, en biologie sur le darwinisme. Les absolutistes condamneraient une mère qui vole de la nourriture pour ses enfants qui meurent de faim parce qu'à leurs yeux le vol est mauvais, alors que les relativistes peuvent dire que voler est mal, mais comme la mère avait besoin de nourrir ses enfants, que ce qu'elle a fait est légitime et qu’elle ne doit pas être condamnée. Les rationalistes peuvent paraître intolérants à l'opinion des autres : par exemple, s'ils sont contre la cruauté envers des animaux, ils seraient contre la pratique islamique de sacrifier des agneaux alors que les relativistes seraient en mesure d’y voir une signification religieuse, l'importance de cette pratique pour la communauté islamique et ne pas la condamner.

Cela conduit à la grande question ...

Où est la vérité ?

Dialogue entre Protagoras et Socrate :

Protagoras : La vérité est relative. C'est seulement une question d'opinion.

Socrate : Tu veux dire que la vérité est une simple opinion subjective ?

Protagoras : Exactement. Ce qui est vrai pour toi est vrai pour toi, et ce qui est vrai pour moi est vrai pour moi. La vérité est subjective.

Socrate : Penses-tu vraiment que mon opinion est vraie en vertu de mon être ?

Protagoras : En effet.

Socrate : Alors mon opinion est la suivante : la vérité est absolue, et non pas l'opinion, et que toi Protagoras es absolument dans l'erreur et parce-que c’est mon opinion, tu dois admettre que c'est vrai en fonction de ta philosophie.

Protagoras : Tu as tout à fait raison, Socrate.

Ce raisonnement consiste, selon la méthode socratique, à prendre au sérieux la thèse de l’adversaire. En effet si Socrate admet que Protagoras a raison: telle une chose m’apparaît, telle elle est. Or ce qui apparaît à Socrate, c'est que Protagoras a tort, donc il a tort et il n'est pas vrai que telle une chose m’apparaît, telle elle est. Pour Socrate, l’opinion de Protagoras est elle-même relative et peut donc être contestée. Cette démonstration qui met en évidence la réalité de la contradiction est en demande d'une vérité qui puisse la lever. S’ils sont deux à se contredire, il est impossible qu’ils aient tous deux raison (bien qu'il soit possible qu’ils aient tous deux tort).

La cohérence et les contradictions de l’absolutisme et du relativisme

Basés sur le chemin que nous empruntons vers la vérité –l’absolutisme ou le relativisme– nous obtenons des réponses complètement différentes. Par définition, le relativisme dit que la connaissance, la vérité et la morale existent en matière de culture, de société, ou de contexte historique mais ne sont pas absolus. A l'inverse l'absolutisme postule que la réalité est unitaire et immuable, que la vérité, la valeur morale ou esthétique sont absolues et universelles. En philosophie une idée pour être valable doit être non contradictoire, c'est-à dire compatible avec sa propre proposition. Ce n'est pas le cas avec le relativisme car il y a contradiction dans sa définition. Supposons que le relativisme soit juste : toutes les croyances sont des artefacts culturels et ne sont pas conformes à des faits objectifs. Elles ne font que refléter la façon dont une culture voit le monde, pas la façon dont le monde est. Deux conséquences en découlent, dévastatrices pour les relativistes : si ce que les relativistes revendiquent est valable pour toutes les croyances, alors cet artefact culturel n'est pas conforme aux faits objectifs et ne nous apprend rien sur la vérité : il nous dit simplement ce que les relativistes ont été culturellement conditionnés à croire au sujet de la vérité. La vérité peut-elle être relative sans ruiner la notion même de vérité ? Une chose ne peut pas à la fois être et ne pas être : si les uns disent vrai alors les autres se trompent. S’il y a autant de vérités que d’individus, il n’y a plus de vérité du tout. Chacun ne peut pas avoir sa vérité concernant les réalités objectives sinon il n'y aurait pas même de réalité mais uniquement des apparences ou des illusions. Les gens qui croient que le relativisme est faux parce que certaines croyances ne sont conformes à des faits objectifs sont également conditionnés par leur culture. Dans ce cas cependant, il n'y a pas plus de raison d'être relativiste que rationaliste, puisque ce n’est pas une question de raison. Les deux dépendent du conditionnement culturel auquel les gens ont fait l'objet. Il serait alors tout aussi mauvais pour les relativistes de tenter d'imposer leurs points de vue aux défenseurs de la civilisation occidentale caractérisée par le christianisme, la multiplicité des langues, l’état de droit, l’objectivité de la science, le pluralisme social, etc. que de dire qu'il est mauvais pour les absolutistes d’imposer les leurs. Si les relativistes tentent de défendre leur position en affirmant qu'ils ne sont pas conditionnés par leur culture, alors ils ne peuvent pas maintenir leur revendication principale en disant que la vérité n'existe pas. Elle doit exister s’ils l’ont trouvée. En d'autres termes, en affirmant que la vérité réside dans la perception de l'individu, les relativistes défendent leur théorie comme un absolu en avançant une hypothèse relative. Le paradoxe est que dans le même temps, ils affirment que l’absolu n'existe pas. Comparons cela avec l’absolutisme : les rationalistes prétendent que la vérité réside dans la réalité, et que la réalité est objective, non fondée sur des préjugés personnels. Ils défendent cette hypothèse comme un absolu, tout en reconnaissant qu'ils ne peuvent la prouver par des faits objectifs ou des phénomènes observables. Un point important à considérer est l'autosuffisance de la réalité afin de déterminer quelle théorie est exacte. La réalité est auto-suffisante. Cela signifie que la réalité existe, quelle que soit notre propre capacité à la comprendre et à la déterminer. L’homme s'il participe à la construction du réel et qu’il contribue à sa fabrication, ne prive pas le réel de son historicité et de sa capacité de résistance. Si l’homme intervient sur le réel, ce dernier n’en affirme pas moins sa tendance à durer et à subsister indépendamment de l’homo faber. Par exemple une personne dans le coma ne peut pas consciemment percevoir la réalité et par conséquent ne peut pas en établir une définition. Mais la réalité cesse-t-elle d'exister pour autant ? Si elle cessait d'exister, il n’y aurait pas un hôpital pour soigner cette personne, ni médecins, ni aucun facteur de la réalité. Cela prouve que la vérité existe à partir de faits objectifs. La capacité humaine à percevoir la vérité réside dans sa reconnaissance, et ce processus fait partie de l'aspect objectif de l'existence. Par conséquent, une philosophie absolutiste a une cohérence interne, car elle est basée sur cette réalité auto-suffisante.

Conclusion

Le relativisme mortifie la raison, parce qu’il affirme que l'être humain ne peut rien connaître avec certitude. Alors pourquoi tant de gens aujourd’hui soutiennent un concept qui alimente un courant irrationnel ? Pourquoi est-il si populaire ? La défense du relativisme se trouve essentiellement dans un refus volontaire de voir la réalité. Quand les gens sont autorisés à avoir des systèmes de croyances sans en subir les conséquences s'épanouit le relativisme. Les socialistes par exemple estiment qu'ils peuvent ignorer les lois de l'économie : tant qu’ils peuvent vivre sur le dos de ceux qui produisent, ils n'ont pas à subir les conséquences de leurs systèmes de croyance jusqu’à ce que la réalité les rattrape. Il y a aussi les indignés professionnels dans l'esprit desquels un tag vaut un Matisse, Christine Angot, Proust, Marc Dorcel, Georges Bataille, un slam de Grand Corps malade, un poème de Rimbaud, Marc Lévy, Alexandre Dumas et le moindre navet est autant porté aux nues autant qu'un film de Kubrick. Poussé à des conséquences logiques, le relativisme estime que le Rap et le Hard Métal valent Bach et Mozart. Ce relativisme absolu et bien ancré dans la hiérarchisation des créations artistiques, cinématographiques ou littéraires, provient directement du consumérisme et des rayons des grandes surfaces de la culture. Souvent ceux qui le pratiquent n'ont généralement pas lu Proust, Rimbaud, ni Bataille ou Alexandre Dumas et n'ont jamais vu une toile de Matisse. Le relativisme dans la hiérarchisation des œuvres d'art leur permet surtout de cacher leur inculture. L’expression tout se vaut suscite des interprétations différenciées, voire divergentes. Certains traitent la formule au premier degré et débattent de la justesse de l’assertion. Les conclusions sont fort heureusement unanimes : tout ne se vaut pas : une dictature de type nazie ne vaut pas une démocratie même imparfaite, le dernier rap à la mode ne se juge pas à l’aune de La Flûte enchantée. Pour Alain Finkielkraut, le relativisme est devenu un gros mot le samedi matin sur France Culture : «Ce dont la culture est en train de périr, c’est de n’exister qu’au sens que lui donnent les sciences humaines : plus de valeurs mais des phénomènes culturels, tous dignes du même intérêt (ou d’une égale incuriosité) ; plus d’universel, mais des univers homogènes et séparés, des styles nationaux, ethniques ou générationnels, entre lesquels il serait malséant et rétrograde de faire le tri. Bref, ce n’est pas la servitude qui menace la culture en occident, c’est l’indifférenciation : le remplacement de la beauté et de la vérité comme valeurs suprêmes par le principe, en apparence tolérant mais en réalité mortel, du TOUT SE VAUT»

Je ne peux que conclure que dans notre société, un clivage s’est fait entre relativistes et absolutistes. C’est un tournant anthropologique : les limites deviennent floues, ce n'est plus oui ou non, il faut relativiser. Est-ce en opposant l’absolu au relatif que l’on aidera les gens à se forger une conviction personnelle ? Un relativisme modéré (relatif) est une position philosophique qui correspond bien au défi posé. Car toutes les opinions ne se valent pas : certaines sont plus objectives, plus fécondes que d'autres. Par contre, face à deux opinions divergentes, il n'est pas possible de décréter que l’une soit supérieure à l'autre, et il vient un point de la discussion où tout est affaire de perspective. Au néant relativiste s’oppose la positivité d'une quête concrète et à l'univocité absolutiste une universalité qui ne contredit pas la réalité des multiples contingences. Il y a une liberté dans la modération qui ne se retrouve pas ailleurs : celle de chercher la vérité et se rendre disponible à sa vision sans œillères. Entre relativisme et absolutisme, il existe un chemin d’humanité qui passe par une saine relativité, par la réflexion, par le choix de convictions personnelles et le respect de celles d’autrui, par le sens de l’écoute et le dialogue. Sans être happé par les vaines dislocations du relativisme radical, ni emporté par les passions naïves de l’absolutisme, méfiant à l'égard de tout discours dogmatique, je me tiens tranquillement debout les yeux ouverts devant le silence éternel des espaces infinis. Je suis ici pour chercher, découvrir, m'aventurer dans des conjectures improbables, pas pour me rassurer dans la quiétude d'opinions installées et de croyances non distanciées, mais observateur lucide de la réalité pour regarder ce qui vient.

J.F. BOYER juin 2013

Partager cet article

Repost0

Présentation

  • : sophia cholet
  •  sophia cholet
  • : SOciété de PHIlosophes Amateurs de la région de Cholet
  • Contact