Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 janvier 2017 7 15 /01 /janvier /2017 13:21

Avant-propos

Point de départ : une réflexion d’un jeune collègue,

«enseigner la philosophie en terminale, c’est mission impossible!», et pourtant !

Réflexion sur la série télévisée et un film «mission impossible». et pourtant !

L’équipe réussit toujours dans son entreprise, sa «mission», la tâche périlleuse qu’on leur a demandée. Ils réussissent, c’était donc possible ! alors pourquoi ce titre ?

-si c’est vraiment impossible, n’en faisons rien !

Si on réussit, c’est que c’était possible, alors ne le disons pas !

Réflexion sur la catégorie du possible : catégorie (concept de l’entendement, selon Kant -cf. la leçon de Jean-Luc).

Situation dans la temporalité : le passé n’est plus de l’ordre du possible, il a été, il est passé, il n’est plus possible, exactement le même, il a été possible, mais il ne l’est plus. En tant qu’il n’est pas, le possible se différencie du présent, de l’existant, en tant qu’il peut ne pas être, il se différencie du nécessaire. Le possible, c’est ce qui dans l’avenir peut être, mais aussi ne pas être, d’où l’adverbe «peut-être», je ne sais pas, mais c’est possible. «Viendrez-vous demain ? Je ne sais pas, c’est possible, peut-être»…

Par conséquent, l’impossible, c’est ce que l’on pense ne pas pouvoir être, se réaliser.«mission», c’est un objectif, un projet, une finalité, un mandat, une délégation que l’on se donne, ou que l’on nous demande de réaliser. Mais parler de mission ajoute quelque chose, une importance, une gravité (ce qui peut amener jusqu’à du sacré, d’où la mission religieuse..) On parle ainsi de la mission de l’enseignant (les hussards de la République), la mission du maintien de l’ordre, des défenseurs de la paix…Il faut avoir à l’esprit que la mission impossible peut être réellement, objectivement telle, ou tout simplement, ce que l’on croit, ce que l’on s’imagine, se représente comme telle !

Cette impossibilité, réelle ou supposée, peut être due aux moyens :

-le problème du temps, du délai, de l’échéance à respecter sous peine de ne pouvoir avoir satisfaction (un dossier important à déposer dans les 48 heures… dans un match, remonter 6 buts en quelques minutes!)

-la question des outils, des moyens techniques (des finances, des moyens de transport…)

-la question des capacités propres (mon rêve de voyager dans l’espace…).

L.impossibilité due à la nature même du mandat, de la fin poursuivie :

Crainte de ne pouvoir réussir, compte-tenu de l’écart entre le souhait, le projet et la confrontation avec le réel.

Le problème de la justice,comment «rendre la justice». Comment déterminer en toute rigueur ce qu’est la justice. Ensuite comment rendre, remettre ce qui a été enlevé, quand il s’agit de la vie, ou de l’honneur, ou tout simplement le goût de continuer de vivre. Vouloir rendre la justice, oui, mais dans la réalité ? Ensuite on peut rencontrer la difficile, voire l’impossible conciliation de logiques, exigences opposées, contradictoires !

Comment satisfaire totalement et en même temps l’exigence de liberté et l’exigence de sécurité ? D’une manière plus générale, il s’agit de la confrontation entre l’idée et la réalité, l’idéal et le réel ou la théorie abstraite et la pratique, la mise en pratique.

Ainsi le problème de la démocratie selon Rousseau dans «Du contrat social». Après avoir analysé, présenté son idée de la démocratie (et l’on sait son importance dans notre conception moderne de celle-ci), il écrit : «A prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable démocratie et il n’en existera jamais…» C’est comme s’il disait (c’est moi qui interprète) : «voilà ce qu’est la démocratie, mais c’est mission impossible…) en théorie, ça passe, mais en pratique, non.

On peut remarquer une difficulté analogue dans le rapport que Kant entretient avec sa conception de la morale. Après avoir analysé la beauté de l’acte moral, purement moral, dans toute sa rigueur universaliste et rigoriste, il écrit dans «Fondement de la métaphysique des mœurs», en substance, car le texte est long : «il n’y a aucune preuve que personne n’ait jamais par devoir dans le monde eu un seul acte simplement et purement moral» (il peut y avoir des actes conformes au devoir, mais pas accomplis par devoir). Là encore, j’interprète : l’acte moral idéal, c’est ça, mais c’est tellement exigeant, que dans la réalité vécue, c’est mission impossible. D’une manière générale, on pourrait soutenir, «mission impossible», si on s’en tient à l’absolu, à la perfection, à l’idéal, au total, au tout, tout de suite, tout le temps.

Le culte des majuscules…On pourrait situer ici l’expérience de la passion. Et l’expérience de la temporalité : vivre pleinement les trois «instances» du temps est «mission impossible». Le passé ne peut être revécu, même s’il peut être repensé. L’expérience de la nostalgie et du remords l’illustre. On ne peut revenir en arrière, revivre cette tranche de vie sans la faute dont la pensée maintenant me ronge. Quant à mon enfance rêvée, elle est à jamais...L’avenir, je ne peux pas le précipiter pour être débarrassé d’un souci, j’ai beau me dire, attendant un résultat important : «vivement tel ou tel jour », je ne peux sauter par-dessus le temps.Quant au présent, il est à peine vécu qu’il n’est déjà plus. Paradoxalement, cette «dimension du temps, la plus prégnante, intense souvent, est aussi la plus fragile, la plus éphémère. Le présent, le maintenant, n’est plus de l’ordre du possible, il est réel. C’est donc une catégorie qui concerne le futur. Le possible, en tant qu’il n’est pas,se différencie de l’existant…en tant qu’il peut ne pas être, il se différencie du nécessaire. Le possible, c’est ce qui peut advenir, être, exister sans que cela soit nécessaire : l’existant, le nécessaire, le possible, l’impossible…Cela peut advenir, mais peut aussi ne pas advenir, il peut être (d’où l’adverbe «peut-être». «Je viendrai peut-être demain, c’est possible, opposé à existant et nécessaire».

D’où le sens de la catégorie de l’impossible, ce qui ne peut pas advenir, ou tout au moins ce que l’on pense, l’on croit ne pas pouvoir advenir.

Futur et incertitude…

D’où la signification générale de «mission impossible ;

-mission :mandat, objectif, finalité, qui nous est proposé ou imposé ou que l’on se donne à soi-même mais que l’on sait ou que l’on croit ne pas pouvoir réaliser.Toujours avoir à l’esprit la possible distinction entre l’impossible objectivement, réellement, ou ce que l’on pense ou croit comme tel.

Pourquoi cela peut être ou paraître impossible ?

  • A-Question de moyens :

  • Une durée, un délais insuffisant, (réunir une certaine somme, prendre une décision

  • Un manque de capacités physiques,

  • Un manque d’outils techniques

  • (faire le tour du monde sur un voilier, vivre dans un château, être publié dans la «Pléiade»

  • Il me manque trop de choses…

  • B-Question dans le questionnement de la finalité elle-même :

  • Question d’inconciliable dans la nature même de la mission :

  • La justice

  • Son idée même, sa définition, sa mise en place.

  • «rendre la justice», l’idée de réparation des préjudices..

  • C-Impossibilité de satisfaire totalement et en même temps deux exigences contraires :

  • la problématique : liberté/sécurité, comment satisfaire absolument en même temps l'une et l’autre ?

  • -L’idéal de perfection et le réel,

  • le principe de plaisir et le principe de réalité !

  • Le rapport au temps en général :

  • le passé n’est plus, on ne peut faire qu’il n’ait pas été :

  • la nostalgie, le remords : on ne peut revenir en arrière et faire advenir le temps comme on l’aurait voulu !

  • Le présent n’est plus possible.

  • Le futur ne peut être anticipé. On souhaiterait quelquefois être un peu au-delà, quand on attend un événement difficile ou incertain (un examen,une manifestation quelconque...) «je voudrais bien être arrivé à demain soir!».

  • Conciliation de l’idée et du réel (ou idéal et réel)

  • L’idée de démocratie et sa mise en œuvre :

  • Rousseau, après avoir analysé la démocratie déclare que ce n’est peut-être pas fait pour exister ! Cf texte..

  • Kant et l’acte moral, même démarche. Cf texte.

Pouvoir : si vraiment c’est impossible..Tirons en les conséquences passons à autre chose...Si on réussit, c’est que ce n’était pas impossible. C’est donc l’invitation à réfléchir sur nos capacités et choisir, agir en conséquence.

L’exemple de la traduction d’une langue dans une autre : il n’y a pas de traduction parfaite, idéale qui satisfasse à toutes les exigences de la lettre, de l’esprit, du sens complexe, multiple (on a pris l’exemple d’un passage de Nietzsche, duquel ont été proposées trois traductions. Aucune ne donnait satisfaction sur tous les plans, mais sur l’un ou l’autre, il faut donc alors s’enrichir des traductions diverses, la mission devient alors possible. Puis l’exemple d’un terme de Kant, concernant la position du savoir par rapport à la croyance (abzuschaffen : abolir ou substituer). Au fond la question ne devient-elle pas celle de notre pouvoir réel dans le monde des possibles. Avant de se désespérer à affronter un réel ou illusoire, impossible, on peut explorer le champ des possibles, ce qui est déjà beaucoup. Que peut faire Sysiphe avec son rocher : l’impossible c’est de réussir à le faire tenir en équilibre au sommet de la montagne, mais à chaque fois les forces de la pesanteur, les conditions diverses font que.. le rocher redescend. Que reste-t-il en son pouvoir ? La jouissance d’éprouver sa force après avoir joui du relâchement dans sa descente, en jouissant du paysage, la jouissance de narguer les dieux, qui ne peuvent lui ôter son ardeur, son obstination et son courage. Et c’est ainsi que l’on doit, dit Camus,«imaginer Sysiphe heureux».

Le bonheur voilà une autre mission que les hommes s’assignent souvent. Que beaucoup espèrent, peut-être beaucoup plus désespèrent. Le Bonheur (majuscule) impossible sans doute, on peut se contenter d’être par moments heureux, à condition de rester dans les possibles, de s’en tenir à ses pouvoirs et au réel…Dire ou croire que c’est «mission impossible», ce peut être fuite, prétexte à ne rien faire à s’en remettre à d’autres forces que les siennes. Mais ce peu être aussi occasion d’inventivité, cela peut pousser à la créativité, à l’exploration et exploitation de nos capacités, de notre ingéniosité. Ainsi Ulysse trouvant le moyen d’entendre le chant des sirènes sans en subir les funestes conséquences. Ainsi le héros du film «Bienvenue à Gattaca» pour réussir à entrer dans le lieu de préparation au vol spatial.

On peut aussi encore penser à l’ingéniosité des traducteurs pour «passer» d’une langue dans une autre.

Conclusion :

Alors, quelle leçon pouvons-nous tirer de tout cela ? Ce qui est réellement en notre pouvoir. «Les métiers impossibles» au dire de Freud, repris pas le psychanalyste contemporain Abel hauser : «conjuguer trois métiers impossibles : éduquer, psychanalyser (ou soigner), gouverner. Et pourtant nous éduquons, soignons, gouvernons...Il y a donc des possibilités, à condition, de trouver une conciliation entre le principe de plaisir et le principe de réalité (autre mission souvent considérée comme impossible). Abelhauser oppose le névrosé et le héros : le névrosé dit : «c’est impossible, j’ai donc raison de me plaindre et de ne rien tenter» prétexte à ne rien faire. Le héros, au contraire, puisqu’on dit que c’est impossible, trouve là une raison d’essayer et d’y aller…

Je ne suis ni névrosé, ni héros, mais un homme comme tous les hommes, «tout un homme, comme le dit Sartre, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui». Il n’y a de mission impossible que si on s’aventure au-delà de ses limites, et de ce que prescrit ou conseille la saine et simple raison critique. Tout le problème est celui du réel, de notre rapport au réel : l’impossible, c’est lui. dans quel monde vivons-nous ? Relatif, et non absolu, inachevé et non parfait, partiel et non total…On a vu l’impossible dans l’illusion d’un absolu, d’une perfection, d’une totalité, alors que notre monde est à l’inverse. Faire, espérer dans les limites des possibles, ce qui peut exiger quelques qualités : humilité, lucidité, courage, et plus que le goût du système, le goût du débat, du compromis, en se méfiant du systématisme de la «pureté dangereuse», des majuscules, des grands idéaux, radicaux, inaccessibles.

Pourquoi les héros de la série télévisée réussissent ? Outre que c’est une fiction et que ce sont des héros, c’est qu’ils sont en équipe constituée de capacités, de talents divers et complémentaires, et tout cela mis en commun, conduit au possible et à la réussite. Ce peut être une indication pour tous ceux qui pensent ou croient ou veulent faire croire que la démocratie, pftt , c’est mission impossible. Sans dire que «tout est possible»,on peut affirmer que le champ des possibles est immense et que c’est le monde dans lequel nous vivons. Cultivons la modeste compréhension des possibles (explorer les possibles au lieu de de se perdre à rêver et à s’épuiser dans la tension vers un vain et illusoire impossible), ayons la lucidité et le courage de nous y tenir et d’en tirer le maximum de savoir, de création et de jouissance…

Gilles Troger                                                                     SOPhiA,le 8 décembre 2016.

  •  

 

Bibliographie :

Rousseau : ”Du contrat social” livre 3 chapitre 4.

Kant :”Fondements de la métaphysique des moeurs””deuxième section/passage de la philosophie morale populaire à la métaphysique des moeurs”

Abelhauser : «Analyse freudienne», ”Conjuguer deux ou trois impossibles”

Guillaume Durand, professeur à l’Université de Nantes :«Participer de l’impossible : éduquer, guérir gouverner, psychanalyser »

Partager cet article

Repost0

Présentation

  • : sophia cholet
  •  sophia cholet
  • : SOciété de PHIlosophes Amateurs de la région de Cholet
  • Contact