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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 18:51

 

1. Une philosophie humaniste du sujet.

A qui s’intéresse, sur un plan philosophique, à la notion de sujet et aux questions qu’elle pose, force est de reconnaître qu’il y a un moment Descartes, sans doute inaugural. C’est en effet avec lui que la philosophie se centre sur le sujet pour désigner par là la substance pensante, c’est-à-dire le sujet qui dit «je» en parlant de lui, je pense donc je suis. Le lien entre la notion de sujet et celle de substance n’est, il est vrai, pas nouveau. Le mot sujet est un mot français qui traduit le mot latin subjectum, participe passé passif neutre= le sous-jacent (sub-jicere,=jeter, placer sous), mot qui  lui-même provient du grec hypokeimenon qu’on traduit par substance. (Source : Le vocabulaire latin de la philosophie, J.M. Fontanier, Ellipses, 2005)

Qu’est-ce qu’une substance/sujet ?

Une telle question relève du champ de la métaphysique et plus particulièrement de l’ontologie. Qu’est-ce que pour une réalité être ? La plante, l’animal, la chose, l’homme sont  mais qu’est ce que ici être ? Non pas être ceci ou bien cela, une plante, un animal une chose, un homme, mais être, tout simplement ? Le philosophe se pose dans ce contexte la question de l’être, de l’être en tant qu’être et ces philosophes, ce sont Platon et Aristote en premier lieu. Or cette question particulière, originale, c’est la question relative à la substance/sujet. Considérer une réalité comme une substance/sujet, c’est la considérer comme le sujet, le terme de toutes les affirmations/négations que je peux concevoir à son propos. La substance/sujet, c’est ce qui subsiste de quelque chose qui est inchangé malgré toutes les modifications dont cette réalité  peut être l’objet.

On trouve chez Descartes, à l’évidence, une telle reprise de la question de la substance, notamment dans les Méditations Métaphysiques (Seconde Méditation),1641,  concernant l’expérience du morceau de cire. Comment connaît-on cette réalité, un  morceau de cire ? Nos sens sont-ils ici la source de la connaissance ? Ce que montre le philosophe, c’est que nos sens nous donnent accès disons aux apparences du morceau de cire, or ces apparences sont changeantes, évanescentes (la cire peut-être en effet tour à tour ronde, carrée,  plus ou moins liquide si je l’approche du feu etc…) et curieusement,  remarque Descartes, la cire reste…la cire. Conclusion : si la cire demeure la cire alors même que son apparence ne cesse de changer c’est qu’il y a quelque chose qui demeure malgré les changements. Qu’est-ce qui ainsi demeure ? C’est ce qui est sous-jacent à une réalité et qui la fait être ce qu’elle est,  par delà tous les changements, ici un morceau de cire. Le réellement réel, c’est la substance d’une chose, et en ce qui concerne le morceau de cire, Descartes, suivant son entendement et non ses sens, découvre que cette substance matérielle occupe un certain espace et qu’elle est susceptible de subir divers changements. Telle est son essence.

Seulement chez le même Descartes la notion de substance/sujet va désigner non seulement la substance matérielle mais aussi la substance spirituelle, la substance pensante. Dès lors la question du sujet/substance pensante devient le cœur de la préoccupation philosophique. De la substance/sujet à la substance pensante, tel est le parcours cartésien et au-delà de lui le parcours de la philosophie qui se centre désormais sur la question du sujet, de l’homme comme sujet, de l’homme comme substance pensante. Ce pourquoi l’on parle de philosophie du sujet, ce dernier devenant même ce par quoi il y a du vrai, du certain, un point d’appui, un fondement de toute vérité.

Mais qu’est-ce qui a conduit le philosophe à centrer ainsi son attention sur le sujet comme substance pensante ?

On se rappelle peut-être quel est le projet de Descartes : il s’agit pour lui de savoir si l’on peut parvenir à une certitude absolue, définitive. Bref, y a-t-il quelque chose de vrai ?

Pour répondre à cette question, Descartes va méthodiquement douter de tout. Ainsi dans sa quête d’une vérité qui soit absolument fiable, il commence par considérer que tout est faux.  Ainsi si jamais quelque chose a l’air d’être vrai mais ne l’est pas,  il ne tombera pas dans le piège de l’illusion. Donc tout est faux, y compris ce que je crois habituellement le mieux établi, par exemple qu’il y a ici un public, une salle, des psy. plein la salle. Il se pourrait en effet qu’un Dieu trompeur s’évertue à me faire croire tout cela. C’est une expérience que nous demande de faire à notre tour Descartes, une expérience métaphysique qui s’inscrit dans un projet particulier, et bien sûr ce n’est qu’à l’intérieur de ce projet que cette expérience a du sens. La question devient alors pour l’auteur la suivante : y a-t-il quelque chose qui résiste au doute radical ? Descartes est-il un sceptique radical pour qui aucune certitude, aucune vérité n’est possible ? Sommes-nous dans le film Matrix où les personnages ne savent pas à quoi s’en tenir en ce qui concerne le réel ?

Ce que cette expérience dévoile,  selon Descartes,  un peu comme une photo apparaît dans le bain révélateur, c’est que quelque chose résiste au doute. Au cœur du doute le plus radical qui soit,  qui me conduit à penser que tout est faux, et bien il y a une certitude qui se manifeste avec force, évidence, lumière, distinction, c’est que pour douter et penser que tout est faux,  il faut une pensée qui le pense et cette pensée, je ne peux pas douter de son existence quand bien même son contenu serait tenu pour faux. Ainsi suis-je certain que ma pensée existe comme acte. Bref, je pense donc je suis, je pense, c’est-à-dire je doute, donc (=c’est-à-dire) je suis (=ma pensée existe avec certitude). Lorsque nous parlons de substance pensante, c’est à une telle expérience que nous pensons. Le sujet au sens de Descartes, c’est ce sujet pensant qui à l’occasion d’un dispositif expérimental, prend conscience de lui et de son identité.  Et que découvre-t-il alors de son identité, en dehors de la certitude de son existence ?

Cette substance/sujet qui fait l’épreuve d’elle-même découvre qu’elle a la capacité d’être consciente d’elle-même. Bref ce qui définit un sujet, c’est cette capacité auto-réflexive qui lui donne accès à lui-même. Capacité fondamentale car par elle je me saisis moi-même avec évidence, comme substance pensante, et surtout je me saisis moi-même dans la manifestation de ma propre vérité, par-delà l’illusion dans laquelle un dieu trompeur pourrait m’installer bien malgré moi. Au fond,  je suis transparent à moi-même,  à condition bien-sûr d’être attentif,  le dispositif des Méditations Métaphysiques ayant  permis de mettre en place les conditions d’une telle attention extrême à soi. Prenons garde cependant au contresens : le soi en question ce n’est que la pensée pensante et non un individu particulier, par exemple René Descartes tout seul dans son poêle  à Amsterdam.

Ainsi suis-je un sujet pensant ou encore une conscience car la pensée et la conscience sont une même réalité spirituelle, une même substance. Avec Descartes c’est en effet toute une configuration intellectuelle qui se met en place et dont nous sommes les héritiers.

Qu’est-ce qu’en effet une  conscience ? Descartes utilise dans son œuvre très peu le mot conscience. Ce mot apparaît, en latin, dans  Les Principes de la philosophie, 1644,  Première partiearticle 9, Ce que c’est que penser. La traduction française (1647) utilise le mot pensée, cogitatio. Penser, avoir conscience c’est la même chose pour notre auteur, ce sont les actes d’une subjectivité présente à elle-même : «Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes». La conscience me donne un savoir, cum scientia, (=avec savoir), un savoir qui n’a rien de scientifique, ce dernier supposant un grand nombre de médiations pour se constituer, un savoir par lequel, immédiatement, je sais ce qui se passe en moi, je l’aperçois, comme on dit au 17ème siècle,  ce pourquoi on parle à ce propos d’aperception. Par exemple je sais que je suis en train de vous communiquer mon papier, je sais que je suis assis etc… Autrement dit,  je fais et, en même temps, je sais que je le fais. Ce savoir définit la conscience de soi par laquelle le sujet humain se distingue de la chose.

Résumons-nous. Avec Descartes, la philosophie élabore une nouvelle conception de la substance, une conception qui se centre sur le sujet humain doté d’une capacité autoréflexive qui prend la forme de la conscience comme propre de l’homme. Ce sujet,  conscient de lui, Descartes en propose une expérimentation métaphysique, qui le conduit à se le représenter  comme auteur de ses pensées et de ses actes,  capable d’être à leur fondement.

Une fois déterminé  la configuration intellectuelle propre à une philosophie du sujet (dont on apercevra qu’elle fonde un certain humanisme qui permet de penser par exemple le champ de la morale avec la question de la responsabilité, le champ de la politique avec la question de la démocratie et la référence aux droits de l’homme, tous ces domaines de la réalité humaine qui présupposent un homme sujet auteur et de sa pensée et de ses actes), la question est de savoir si cette configuration intellectuelle est légitime ou non. Or à l’évidence cette philosophie du sujet se heurte et s’est heurté à moult accusations.

2. Accusé sujet, levez-vous !

Bien des critiques, en effet, ont été adressées à une telle philosophie du sujet en tant que  substance pensante consciente d’elle-même.

On peut évoquer le travail entrepris par Kant dans La critique de la raison pure, 1781, qui propose une critique très puissante des illusions propres à la raison métaphysique. Or une des trois illusions qu’engendre la raison dès lors qu’elle suit jusqu’à son terme sa logique naturelle est l’illusion d’un sujet, d’une âme, qui se saisirait soi-même en toute transparence à soi, qui saisirait sa propre identité de substance qui relierait logiquement entre eux ses états successifs comme une pure continuité. Le sujet deviendrait ainsi un fondement premier de tout ce qui lui arrive, sujet absolu englobant les diverses déterminations possibles à son sujet, comme on ramène les divers accidents à une même substance, ou comme on ramène les prémisses d’un raisonnement à d’autre prémisses qui sont les conditions des suivantes et ainsi de suite jusqu’à un fondement premier inconditionné quant à lui.

Pour Kant, poser ainsi un fondement premier qui existe nécessairement, une âme substance, c’est une pure illusion tout simplement, montre-t-il, parce que je ne peux faire l’expérience de l’absolu, ce qui supposerait que j’adopte le point de vue d’un être omniscient (le point de vue de Sirius) pouvant tout connaître (le point de vue de Dieu). Or un tel point de vue est impossible, notre entendement a des limites à l’intérieur desquelles l’expérience est possible, condition de la connaissance. L’illusion consiste justement à sortir de ces limites et à croire qu’on peut connaître l’être en soi, le réel absolu, c’est-à-dire le réel  tel qu’il est en lui-même, abstraction faite  de ma perception.

Affirmer l’existence d’un sujet substance pensante, transparent à lui-même, pure relation de soi à soi est donc pour Kant une pure illusion, illusion persistante en fait car découlant d’un certain usage de sa raison, d’une raison simplement délirante. Kant, qu’on dépeint souvent comme le prototype du philosophe hyper rationnel, est avant tout le philosophe qui a tenté de démontrer comment la raison pouvait délirer et sortir des limites qui lui confèrent  sa légitimité.

Ainsi, poser l’existence d’un sujet  pensé en terme de conscience de soi, un sujet présent à lui-même en toute transparence, un sujet capable d’omniscience, capable de savoir tout ce qui se passe en lui-même, c’est bâtir une fiction, une fiction philosophique.

Mais si une telle représentation du sujet humain est une illusion, comment alors le concevoir ?

Nombre de penseurs  vont insister sur l’opacité du sujet. Loin d’être transparent à lui-même, le sujet est opaque à lui-même : il ne peut, en fait, à partir de lui-même comme être conscient, coïncider avec lui-même. Bref, selon le mot de Rimbaud devenu un véritable lieu commun, «Je est un autre». Il  y a au cœur du sujet de l’altérité, une dimension d’extériorité qu’aucune conscience ne peut éliminer, malgré toute sa puissance. Le sujet est brisé (Paul Ricoeur parle du cogito brisé dans Soi-même comme un autre, 1990, Seuil), toute une tradition critique, briseuse d’idoles,  n’a eu de cesse de le proclamer en faisant le procès de la conscience. Cette dernière a beau être capable d’attention, qui  lui permet, par introspection, d’accéder au plus profond d’elle-même, ce fond, en réalité, elle ne peut l’atteindre, car ce fond est inaccessible, pure extériorité à soi au cœur du psychisme. Une fois remise en cause le rôle pivot de la conscience, restait à décentrer le sujet de lui-même en insistant sur les failles de la conscience. C’est ce que le terme d’inconscient suggère.

Ce que Freud montre, c’est que, en effet, ma conscience peut être mise en échec. Il m’arrive de ne pas pouvoir prendre conscience et ce malgré ma volonté. Dans Essais de psychanalyse -1923-, il met en valeur les forces, inconscientes, qui s’opposent à la prise de conscience. Pourquoi ai-je employé ce mot à la place d’un autre ? Pourquoi ai-je dit «Maman» à la place de «Chérie» ? Pourquoi ce rêve m’apparaît-il comme très obscur ? Pourquoi certaines situations engendrent en moi cet état de mélancolie ? Soudainement je m’apparais dans mon opacité, l’introspection trouve ici ses limites ; il y a de la résistance à accéder  à soi. La conscience semble bien, dans ces situations auxquelles la psychanalyse nous rend attentifs, impuissante, son pouvoir est mis à nu : «le moi n’est seulement pas maître dans sa propre maison» écrit Freud dans Introduction à la psychanalyse, 18 ème leçon -1922

Penser un sujet brisé, c’est donc reconnaître qu’il y a au sein de ce même sujet une dimension d’extériorité, c’est admettre que la conscience n’a pas accès au sens de tout ce qui se passe en elle, c’est reconnaître que la signification de bien des phénomènes psychiques lui échappent et surtout c’est affirmer avec virulence contre les philosophies du sujet que la conscience ne peut être tenue pour la source, le fondement de ses représentations et de ses actes.

Ce procès peut-il laisser place à une défense ?

3. Défendre le sujet ?

Après Nietzsche et sa critique du sujet (qu’est-ce qu’un sujet ? une âme ? une fiction grammaticale qui reflète, tel un miroir, non pas la  réalité mais une expérience subjective particulière, celle  de certains humains qui,  incapables  de vivre dans le chaos,  le désordre propre au réel  fait de pur changements, ont cherché à s’en  protéger en forgeant une abstraction stable, cohérente, identique à elle-même qui se nomme sujet. Le langage a permis de faire triompher une certaine interprétation du réel en rendant ce dernier  plus rassurant), après Marx, pour qui «ce n’est pas la conscience qui détermine l’existence mais l’existence sociale qui détermine la conscience», après Freud et tant d’autres, faut-il renoncer à l’idée de sujet et aux fictions qui s’y rattachent ?

L’idée d’un sujet capable d’être au fondement de sa pensée et de ses actes doit-elle être considérée comme le géocentrisme qui sévissait il y a quelques siècles et qui est devenue une pure illusion que la science nous a appris à dépasser ou bien convient-il de conserver cette idée mais en la transformant pour la penser de façon moins naïve ?

Certes les hommes ont appris à se passer de l’idée du géocentrisme. Si l’on est un peu informé, nous savons que le soleil ne tourne pas autour de la terre mais que c’est nous, terriens,  qui tournons autour de lui, ce qui d’ailleurs ne nous empêche pas de toujours avoir l’impression très forte que le soleil donne l’apparence de faire sa révolution autour de nous. La représentation d’un sujet auteur de sa pensée et de ses actes, donc un minimum conscient de lui,  relève-t-elle du même genre de phénomène ?

Pourtant on observera que tous ces auteurs continuent  dans leur travaux à en appeler à la conscience de leur lecteur, cherchent à ce qu’il prenne conscience.  On observera que les cas cliniques qu’expose Freud ramènent toujours l’analysé, au final, à lui-même, à sa conscience, il s’agit, si nous avons bien compris, pour l’analysé, de se réapproprier lui-même. Comment penser cette présence de la conscience et de ses attributs les plus traditionnels, capacité d’auto réflexion, capacité d’auto fondation,  au sein d’un discours qui pourtant s’évertue à détrôner la conscience de son pouvoir ? Faut-il y voir la persistance d’une illusion, faut-il y voir une simple question de vocabulaire qui oblige l’analyste à utiliser un vocabulaire d’un autre âge pour penser des réalités nouvelles, inédites que la langue, qui véhicule certaines représentations,  ne permet pas de bien exprimer ? Que penser, enfin, du travail d’auto-analyse de Freud lui-même ? Quels que soient les détours empruntés pour analyser cette altérité, pour la déchiffrer, l’interpréter comme un texte, l’idée d’auto-analyse n’implique-t-elle pas une certaine capacité à se penser comme un je ? Comme un être conscient ? Mais alors de quelle conscience s’agit-il ?

La discussion est donc ouverte, les délibérations peuvent avoir lieu.

Pierre Breton

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