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22 octobre 2018 1 22 /10 /octobre /2018 15:10

Philosophe, romancier, dramaturge, homme de combats et d’engagements, Sartre a incarné mieux que nul autre « l’intellectuel total » du XXe siècle, tour à tour objet d’admiration et de haine. Aujourd’hui, trente-huit ans après sa mort, son œuvre est toujours lue et étudiée dans bon nombre de pays étrangers, alors qu’en France, elle est toujours un peu boudée au profit de celle de son contemporain Camus. Cela me semble profondément injuste, tant l’œuvre de cet écrivain philosophe hors normes occupe une place majeure, absolument unique dans le paysage littéraire et philosophique du XXe siècle. Comment en effet ne pas s’intéresser à un tel homme qui, rêvant d’ « être à la fois Stendhal et Spinoza », avait l’ambition d’unir en un seul projet la littérature et la philosophie, afin, disait-il, de « donner (s)a vision du monde en même temps qu’(il) la faisait vivre par des personnages dans (s)es œuvres littéraires ou dans (s)es essais », pour « obtenir l’immortalité par la littérature, la philosophie é(tant) un moyen d’y accéder » (Entretiens avec J.P. Sartre, S. de Beauvoir) ? Des réussites de l’écrivain philosophe, il y en eut de mémorables : dans le roman, avec La Nausée en 1938, au théâtre, avec Huis clos en 1944 ou encore dans l’essai biographique avec Saint Genet, comédien et martyr en 1952. Mais le chef-d’œuvre de l’écrivain philosophe, unanimement célébré par la critique, reste incontestablement son récit autobiographique Les Mots (1963/1964) dont Régis Debray disait en 1980 qu’il était « l’un des monuments les plus denses de notre langue ».

Après avoir situé Les Mots dans la vie et l’œuvre de Sartre et en avoir éclairé la genèse, nous tenterons de montrer comment l’écrivain philosophe parvient dans son autobiographie à maintenir ce subtil équilibre entre le récit autobiographique proprement dit et l’analyse philosophique (à la fois métaphysique et idéologique), pour offrir au lecteur un texte profondément original, d’une rare intensité. Nous allons découvrir, en effet, sous l’apparence du traditionnel récit d’enfance d’ écrivain, à la fois un éblouissant essai d’autobiographie existentielle et un adieu brillantissime à la littérature.

 

 

*

 

 

Situation et genèse des Mots

 

Écriture de soi et philosophie : des Carnets de la drôle de guerre aux Mots

En publiant son autobiographie Les Mots en 1963, Sartre « grand pourfendeur de l’écriture intime » (J.F. Louette) depuis sa jeunesse, ne peut que surprendre son public. Dès 1934, en effet, le philosophe n’hésite pas à affirmer qu’avec la phénoménologie* de Husserl, il s’est « délivré de la vie intérieure », la notion d’intentionnalité (« Toute conscience est conscience de quelque chose ») lui permettant de penser une conscience détachée de l’intériorité. Le journal métaphysique de Roquentin dans La Nausée (1938) en apportera une parfaite illustration. Il est également significatif qu’en 1947 dans Qu’est-ce que la littérature ?, Sartre ne réserve aucune place à l’autobiographie : la littérature engagée n’exige-t-elle pas qu’on écrive pour son époque ? Si l’on veut comprendre comment l’écrivain philosophe est parvenu à concilier l’écriture de soi avec sa philosophie, il convient de se plonger dans la lecture de ses Carnets de la drôle de guerre (septembre 1939 – mars 1940), publiés après sa mort en 1983.

 

* Voir, en annexes, le petit lexique de philosophie existentialiste.

On découvre, alors, que Sartre invente avec ses Carnets « une forme autobiographique absolument inédite » qui croise « l’exploration de son vécu et l’élaboration d’une théorie » (P. Lejeune). En effet, durant ces neuf mois de « drôle de guerre », le soldat écrivain s’interroge : que peut un écrivain dans la guerre ? Que faire de « moi » dans cette guerre ? S’il a toujours la même « horreur des carnets intimes », il n’en ressent pas moins la nécessité de « faire le point » alors qu’il « est, dit-il, en train de changer de vie /.../ » (19 décembre 1939). La guerre lui fait ainsi prendre conscience de son « historicité », et l’amène à se pencher sur son enfance : « la guerre fait partie de mes souvenirs d’enfance, /.../ elle m’est apparue d’abord comme un événement familial. » (3 octobre 1939). La césure temporelle de « la drôle de guerre » le conduit également à évoquer et à analyser son entre-deux guerres, à savoir sa vie entre 1921 et 1939. La crise existentielle engendrée par la guerre déclenche donc chez Sartre un processus autobiographique à haute réflexivité, mobilisant lectures et savoirs du philosophe. « Il a fallu, écrit-il, le concours de plusieurs disciplines neuves (phénoménologie, psychanalyse, sociologie) ainsi que la lecture de L’Âge d’homme pour m’inciter à dresser un portrait de moi-même en pied. » (19 décembre 1939). La lecture de L’Âge d’homme, une confession psychanalytique en forme de collage surréaliste, de son ami M. Leiris a été effectivement décisive. Loin des complaisances narcissiques de l’écriture intime, l’écrivain philosophe est désormais en mesure de concevoir son autoportrait de façon critique, comme une mise à l’épreuve des méthodes de la philosophie et des sciences humaines – en tant que méthodes d’investigation. On retrouvera cette même démarche dans Les Mots.

Laboratoire d’une pensée en pleine effervescence créatrice où s’ébauche toute l’œuvre à venir, les Carnets donnent à voir, entre autres, en même temps que les prémices de L’Être et le Néant, la toute première esquisse des Mots. C’est dire le lien intime qui, dès les Carnets, unit écriture de soi et philosophie.

 

Des essais de biographie existentielle aux Mots

Si l’on veut saisir ce qui fait l’originalité de la démarche de Sartre dans Les Mots, il importe de la situer également par rapport à ses deux essais antérieurs de biographie existentielle que sont Baudelaire (1946) et Saint Genet, comédien et martyr (1952), comme nous y invite l’écrivain philosophe dans une interview capitale qu’il accorde à O. Todd, à propos de sa prochaine autobiographie, le 06/06/1957 pour The Listener :

 D’abord, c’est un essai de méthode. Parce que j’ai écrit un certain nombre d’ouvrages où j’ai essayé de déterminer le sens d’une vie et le projet qui l’habite, avec les modifications qu’ils subissent à l’expérience – par exemple sur Genet, sur Baudelaire et d’autres études qui n’ont pas été publiées /.../ Il s’agit de retrouver le sens du vécu tel qu’il m’est apparu quand je le vivais, puisque le reproche qu’on m’a fait c’est que ce sens du vécu là a pu m’échapper quand j’ai travaillé sur d’autres que moi. 

On reconnaît dans ces lignes la notion centrale de projet*qui est au cœur de la philosophie existentialiste et fonde ses deux essais de psychanalyse existentielle, Baudelaire et Saint Genet. La « psychanalyse existentielle », définie dans l’un des derniers chapitres de L’Être et le Néant, « rejette le postulat de l’inconscient », tout en « distingu(ant) conscience et connaissance » et « cherche à déterminer le choix* originel » qui fonde précisément le projet* éclairant « le sens d’une vie ». Sartre, dans Saint Genet, s’attache ainsi à « retrouver le choix qu’un écrivain fait de lui-même, de sa vie, et du sens de l’univers jusque dans les caractères formels de son style et de sa composition », montrant par là que « seule la liberté peut rendre compte d’une personne en sa totalité ». C’est elle « qui fait de Genet un poète, alors qu’il avait été rigoureusement conditionné pour être un voleur » (« Sartre par Sartre », Situations IX).

L’autobiographie Les Mots s’inscrit bien dans le droit fil du Saint Genet, dans la mesure où le discours philosophique qui sous-tend le récit autobiographique va dévoiler le projet* existentiel de l’enfant écrivain.

 

 

 

 

Genèse des Mots : 1953 -1963

 

1953 – 1955 : un projet d’autobiographie politique

Tout d’abord, un petit rappel historique. Dans le contexte international extrêmement tendu de la guerre froide qui fait craindre un troisième conflit mondial (Guerre de Corée 1950-1953) et face à la persécution des communistes (maccarthysme aux E.U. et arrestation du communiste J. Duclos en France), Sartre qui pourtant en 1950 avait condamné les camps de concentration soviétiques, décide de se rapprocher des communistes entre 1952 et 1956, sans toutefois adhérer au P.C. Il aggrave ainsi la brouille qu’il avait avec Camus, depuis 1951, tandis que son ami, le philosophe Merleau-Ponty, responsable de la ligne politique des Temps modernes, quitte en 1953 la revue qu’ils avaient fondée ensemble à la Libération.

C’est dans ce contexte personnel tourmenté du compagnonnage orageux avec les communistes que Sartre éprouve le besoin de faire le point sur lui-même et sur son itinéraire intellectuel et politique. Il relit alors ses Carnets, en prenant des notes, en vue d’une autobiographie politique qui aurait pour titre Jean Sans Terre. De cette toute première version des Mots, il ne nous reste qu’une quarantaine de pages. Nous constatons une nouvelle fois que le projet autobiographique sartrien procède par crise.

Dans un entretien avec J. Piatier, le 18/04/1964, pour Le Monde, Sartre revient sur le contexte politique de la genèse des Mots :

 Le gros de l’ouvrage a été écrit en 1954, puis retouché, nuancé plus tard dans les mois qui ont précédé la publication. /.../Quand les relations avec le P.C. m’ont donné le recul nécessaire, j’ai décidé d’écrire mon autobiographie. Je voulais montrer comment un homme peut passer de la littérature considérée comme sacrée à une action qui reste néanmoins celle d’un intellectuel. 

La dimension idéologique de l’autobiographie initiale, clairement affirmée dans ces lignes, sera finalement atténuée dans la version définitive, Sartre se refusant à publier la version initiale qu’il« jug(e) excessive ». Toutefois, nous devrons garder à l’esprit l’engagement de l’écrivain philosophe dans son autobiographie.

 

Paul Nizan, 1960 et Merleau-Ponty, 1961, deux portraits en résonance avec Les Mots, 1963

Ce sont tout d’abord deux grands textes de circonstance. Le premier a été écrit en guise d’avant-propos à une réédition du premier récit de son grand ami de jeunesse P. Nizan (1905-1940), Aden Arabie (1931). Quant au second, Sartre l’a écrit à l’occasion de la mort de Merleau-Ponty, pour un numéro d’hommages des Temps modernes. Ces deux superbes hommages sont adressés à deux amis qui, tous les deux, ont joué un rôle décisif à des moments-clés de la vie de Sartre : le temps de l’adolescence et de la jeunesse avec Nizan qu’il considérait quasiment comme son double – rencontré pour la première fois en classe de cinquième (voir Les Mots) – et le temps des combats et des engagements, entre 1941 et 1953, avec Merleau-Ponty, le compagnon respecté de l’aventure des Temps modernes. Ces deux portraits peuvent aussi se lire, à l’évidence, comme des « essais d’autobiographie indirecte » (G. Philippe), le portrait des amis disparus donnant à l’écrivain philosophe l’occasion de revenir sur sa propre vie. Analysant les parcours intellectuels et politiques de ses deux amis engagés un temps aux côtés des communistes (Nizan en tant que militant et Merleau-Ponty comme compagnon critique), Sartre est inévitablement confronté à sa propre trajectoire – pour Annie Cohen-Solal, la grande biographe de Sartre, le portrait de Merleau-Ponty est indéniablement « le meilleur effort que Sartre s’imposa pour cerner globalement sa propre trajectoire politique ». Ces deux tombeaux peuvent également s’apparenter à deux esquisses de biographie existentielle, dans la mesure où l’écrivain explore finement l’intimité familiale de ses deux amis écrivains et philosophes, à partir de leurs œuvres, pour s’y dévoiler de manière oblique. Ainsi analysant la relation père-fils chez Nizan, Sartre laisse entrevoir la difficile relation qu’il a eue avec son beau-père. De même quand il examine la relation de Merleau-Ponty avec sa mère adorée, on ne peut s’empêcher de penser à celle du petit Poulou avec sa mère Anne-Marie dans Les Mots.

Nizan (1960), Merleau-Ponty (1961), Les Mots (1953-1963), ces trois textes entretiennent une évidente complémentarité thématique et chronologique.

 

Sous le traditionnel récit d’enfance, un essai d’autobiographie existentielle

 

* Préambule : définition du récit autobiographique, selon P. Lejeune :

Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. Pour qu’il y ait autobiographie, il faut qu’il y ait identité de l’auteur, du narrateur et du personnage. Le pacte autobiographique, c’est l’affirmation dans le texte de cette identité (Le pacte autobiographique).

Le récit d’enfance de Sartre répond effectivement à tous ces critères. Mais la distinction claire entre le récit autobiographique du narrateur (au temps du passé) et le discours autobiographique d’analyse de l’auteur (au présent de l’écriture) qui caractérise habituellement l’autobiographie, tend par moments à s’estomper dans Les Mots. Comme on le verra, le discours d’analyse philosophique pourra se glisser dans le récit jusqu’à l’envelopper, au risque parfois de compromettre la crédibilité du récit autobiographique.

 

Apparemment un récit autobiographique classique de souvenirs d’enfance pour l’essentiel du texte (192 sur 213 pages).

 

Lecture des deux extraits suivants, à titre d’illustration :

p. 15-17 * : l’évocation de ses parents et de sa naissance ;

p. 66-67 : l’entrée en huitième au Lycée Montaigne.

Après une introduction (p. 11-18) où le narrateur présente sa généalogie familiale, nous retrouvons tout ce qui fait le charme des récits d’enfance sur une période qui va de 1909 à 1916 (de 4 à 11 ans) : le roman familial, l’apprentissage de la lecture, de rares souvenirs d’école primaire, la découverte du cinéma, des portraits de bons camarades etc.

Les indications chronologiques sont relativement nombreuses et les événements sont le plus souvent datés et localisés. Composé de deux grandes parties – Lire/ Écrire –, le récit semble suivre globalement l’ordre chronologique, même si parfois certains regroupements thématiques entraînent quelques perturbations chronologiques. Bref, le lecteur éprouve une réelle impression de vécu, même s’il peut lui arriver parfois d’être surpris par quelques formules à résonance philosophique. Jusqu’au milieu de la seconde partie, il pourra effectivement lire Les Mots avec plaisir, sans être familiarisé avec la philosophie de Sartre.

En apparence, on retrouve donc dans Les Mots la structure traditionnelle d’un récit d’enfance alerte, incisif, rondement mené et parfois drôle.

 

* Édition folio, 1988

 

Une conclusion surprenante qui change radicalement la perspective du traditionnel récit d’enfance (p. 192-213).

Le récit d’enfance se termine brutalement en 1916-1917 (remariage de la mère de l’enfant Sartre et déménagement à La Rochelle), comme s’il restait en suspens pour laisser place au verdict de l’analyste :

 Je m’étais pris pour un prince, ma folie fut de l’être. Névrose caractérielle, dit un analyste de mes amis. Il a raison entre l’été 14 et l’automne de 1916, mon mandat* est devenu mon caractère : mon délire a quitté ma tête pour se couler dans mes os.  (p. 192-193)

* Il s’agit ici du mandat du grand-père qui, parlant à l’enfant de huit ans de sa vocation, lui avait fait entrevoir une carrière appliquée de professeur de lettres, alors qu’il rêvait de devenir un écrivain aventurier.

Au terme d’une ellipse spectaculaire (p. 207-208), nous voyons l’enfant lecteur se métamorphoser en écrivain adulte. Sartre signifie alors clairement au lecteur que l’analyse est définitivement terminée : « Voilà mon commencement : je fuyais, des forces extérieures ont modelé ma fuite et m’ont fait. » Ce que l’on croyait être l’histoire d’une enfance, se révèle être en réalité la genèse d’une névrose. On découvre finalement qu’à travers l’histoire de cet enfant prodige, comédien, mythomane, fuyant le réel, en proie à l’imaginaire des livres, c’est en réalité l’histoire de l’auteur de La Nausée (cf. p. 210) qui est l’objet réel du récit, l’écrivain « truqué jusqu’à l’os », « mystifié » et « heureux », croyant au « salut » par l’écriture. Enfin dans l’épilogue (p. 211-213), l’écrivain témoigne au présent de l’écriture (1963) de sa relative guérison ‒ « J’ai changé. » ‒, sur laquelle nous reviendrons dans la troisième partie.

La conclusion qui fait la part belle à l’analyse semblerait donc orienter rétrospectivement le récit autobiographique vers l’essai.

 

Un ordre moins chronologique que logique, plus précisément dialectique

Quand on examine le texte très attentivement, on s’aperçoit à la suite de P. Lejeune, que l’ordre chronologique strict n’est guère respecté que dans l’introduction (p. 11-18) qui correspond à la préhistoire familiale de l’enfant et dans la conclusion (p. 192-213) qui va de 1916 à 1963 (le présent de l’écrivain), une fois l’analyse terminée et le diagnostic de « névrose caractérielle » posé (cf. supra). Entre l’introduction et la conclusion, nous avons ce qui constitue à proprement parler le corps du récit qui va de 1909 à 1916 (de 4 à 11 ans), dans lequel l’ordre chronologique est globalement respecté, avec toutefois dans le détail quelques libertés prises avec la chronologie, les séquences narratives obéissant plutôt à l’ordre de l’analyse. Plus surprenant, on découvre que la partie II, Écrire, ne fait pas vraiment suite aux événements de la partie I, Lire. La partie Écrire, de 7 à 11 ans, vient en effet recouper partiellement la chronologie de la partie Lire, de 4 à 10 ans. En définitive, au diptyque apparent ‒ Lire (104 p.) /Écrire (94 p.) ‒, il serait plus pertinent, comme nous y invite P. Lejeune, de lui substituer le triptyque suivant :

I. L’introduction (p. 11-18) : la situation initiale que l’enfant aura à affronter.

II. Le corps du récit (p. 18-192) : l’analyse de la manière dont l’enfant fait face à cette situation*, en élaborant progressivement son projet* existentiel, c’est-à-dire un ensemble de conduites plus ou moins conscientes qui vont l’amener peu à peu à assumer les conditionnements de son milieu familial et qui vont au fil du temps constituer l’élément permanent et intemporel de son histoire personnelle.

III. La conclusion (p. 192-213) : la nouvelle situation qui en résulte : la fixation de la névrose et sa relative guérison.

Comme on peut le constater l’ordre chronologique du récit d’enfance n’est qu’un leurre. Le récit autobiographique voile en réalité une démonstration de type philosophique, plus précisément dialectique (thèse / antithèse /synthèse).

 

« Une fable dialectique » qui a l’intensité d’un drame

Le récit autobiographique est en fait construit comme « une fable dialectique » que P. Lejeune a brillamment mise au jour (cf. « L’ordre du récit dans Les Mots de Sartre » in Le Pacte autobiographique), en épousant le discours du philosophe de L’Être et le Néant. Il la présente ainsi à la manière biblique :

1. Au début était la liberté, et la liberté flottait sur une situation (Situation* et liberté*) ;

2. la liberté était vide, et pour se donner une forme, elle se fit enfant-modèle, sous le regard d’autrui (Singerie) ;

3. mais un jour, la liberté vit qu’elle était nue et creuse, et elle eut peur d’elle-même et voulut se couvrir (Nausée*) ;

4. et elle essaya de se cacher derrière d’autres rôles, cette fois intériorisés (Bouderie) ;

5. mais le rôle a fini par devenir caractère, le vêtement a collé à la peau (Folie).

Tels sont donc les cinq temps de la fable conceptualisée du vécu de l’enfant Sartre qui peuvent faire penser aux cinq actes d’un drame. Nous allons maintenant l’expliciter, en revenant au texte des Mots et montrer comment le discours du philosophe informe (donne une forme et une signification) le récit autobiographique.

 

 

 

1. Situation et liberté (p. 11-18)

Ce premier acte, très bref, qui évoque la préhistoire familiale de l’enfant se termine avec la mort de son père Jean-Baptiste, en 1906 qui coïncide presque avec la naissance de l’enfant en 1905. Pour l’écrivain philosophe, cette mort fut l’événement fondateur de sa vie :

La mort de Jean-Baptiste fut la grande affaire de ma vie : elle rendit ma mère à ses chaînes et me donna la liberté.

La liberté* qui comme concept et expérience est la pierre angulaire de la philosophie de Sartre, est ici posée comme origine absolue de l’histoire de Poulou (avant tout souvenir ou toute conscience). Mais pour être vide, la liberté n’en est pas moins située, la situation* étant définie par le milieu de la famille Schweitzer, présentée sur le mode satirique dans les pages précédentes (cf. lecture du premier extrait).

2. Les comédies primaires (Singerie) (p. 18-72)

Cette liberté va prendre forme dans le milieu familial. Pour exister aux yeux des adultes, l’enfant va entrer dans leur comédie, dans les rôles à succès de l’enfant sage et du singe savant. Le « Je » de l’enfant s’affirme alors dans le jeu. Pour le philosophe, l’enfant n’est rien d’autre que ce qu’il se fait :

Je ne cesse de me créer ; je suis le donateur et la donation. Si mon père vivait, je connaîtrais mes droits et mes devoirs ; il est mort et je les ignore : je n’ai pas de droit puisque l’amour me comble : je n’ai pas de devoir puisque je donne par amour. Un seul mandat : plaire ; tout pour la montre (p. 29).

Analyse de l’extrait p. 61-62* : la comédie littéraire de l’enfant lecteur

Voici un bel exemple de texte où le discours d’analyse philosophique imprègne le récit autobiographique, au point de le rendre problématique. Voulant en effet reconstituer en quelque sorte une conduite de mauvaise foi* naïve – celle de l’enfant lecteur comédien qui, prisonnier des regards des adultes, ne lit pas pour lui mais pour eux, cherchant moins à s’instruire qu’à leur plaire – Sartre est obligé de recourir à une fiction analytique que le lecteur peut difficilement prendre pour un récit historique, tant le décalage entre le narrateur et l’enfant (entre 5 et 9 ans) est choquant. Mais l’écrivain parfaitement conscient de cette difficulté, a anticipé habilement la critique du lecteur, en lui faisant part, juste avant, de ses doutes précisément sur la vérité autobiographique :

J’ai rapporté les faits avec autant d’exactitude que ma mémoire le permettait. Mais jusqu’à quel point croyais-je à mon délire ? C’est la question fondamentale et pourtant je n’en décide pas.

Le pacte autobiographique avec le lecteur, quelque peu mis à mal, se trouve ainsi à nouveau conforté.

 

*Voir, en annexes, quelques extraits emblématiques des Mots.

 

3. La prise de conscience du vide (Nausée) (p. 72-94)

Au travers d’une série d’événements, entre cinq et dix ans, l’enfant prend conscience dans l’angoisse* de son existence* : ses rôles lui apparaissent comme de simples rôles qui sonnent creux. Dans la comédie des adultes, Poulou découvre alors son imposture et celle des adultes : il n’a qu’ « un faux-beau-rôle » et doit se contenter de « donn(er) la réplique aux adultes ». Il éprouve alors un sentiment de mal-être qui, pour le philosophe, relève de l’expérience de la contingence*  :

je n’étais pas consistant ni permanent ; je n’étais pas le continuateur futur de l’œuvre paternelle, je n’étais pas nécessaire à la production de l’acier : en un mot, je n’avais pas d’âme (p. 76).

Trois « souvenirs frappants », à sept, neuf et dix ans viennent illustrer la déchéance progressive de l’enfant comédien qui se console de ses échecs il « en fait trop » et déçoit son public – avec des séances de « grimaces » devant le miroir :

Sous mes yeux, une méduse heurtait la vitre de l’aquarium, fronçait mollement sa collerette, s’effilochait dans les ténèbres. La nuit tomba, des nuages d’encre se diluèrent dans la glace, ensevelissant mon ultime incarnation. Privé d’alibi, je m’affalai sur moi-même. /.../ La glace m’avait appris ce que je savais depuis toujours : j’étais horriblement naturel. Je ne m’en suis jamais remis (p. 93-94).

Tel est le finale du troisième acte où la tension dramatique est à son comble. A l’image de Roquentin, le héros de La Nausée* qui « se sent de trop », Poulou éprouve dans son être, toute l’horreur de sa contingence, c’est-à-dire l’inconsistance de son corps jusqu’ à la nausée.

4. Les comédies secondaires (Bouderie) (p. 94-176)

Déçu par les adultes qui se révèlent être de mauvais spectateurs qui n’apportent pas à l’enfant la reconnaissance et la plénitude d’être qu’il attend, Poulou, « l’enfant imaginaire » finit par se réfugier dans l’imaginaire, en jouant pour lui des rôles d’adulte. Ces comédies secondaires qui relèvent plutôt de la bouderie, vont s’intérioriser à partir de trois rôles  le Saint, le Héros et l’Écrivain – qui structurent l’ensemble de l’acte IV. La seule comédie qui réussira sera en définitive celle qui sauvera l’enfant de sa contingence, à savoir celle de l’Écrivain. Son apparition coïncide avec l’articulation centrale du récit (entre les parties I et II) qui dans la « fable dialectique » correspond seulement à une division intérieure de l’acte IV. Ce tournant dans la vie de l’enfant est dramatisé, présenté par le narrateur comme un véritable rebondissement : après l’échec de la bouderie héroïque qui ne décharge pas l’enfant de sa solitude et de sa contingence, il annonce le salut de l’enfant :

N’importe : ça ne tournait pas rond.

Je fus sauvé par mon grand-père : il me jeta sans le vouloir dans une imposture nouvelle qui changea ma vie (p. 115).

Le rôle de l’Écrivain va être vécu successivement de deux manières : comme pratique d’abord, puis comme fantasme. Initié à l’âge de sept ans à l’écriture littéraire par son grand-père, au cours d’échanges épistolaires en vers, Poulou découvre la joie d’écrire personnellement – une pratique naïve de l’écriture, marquée d’abord par le plagiat et le didactisme.

Analyse de l’extrait p. 122-124 : la comédie littéraire de l’enfant écrivain

Comme l’enfant lecteur qui jouait la comédie de la culture pour les adultes, l’enfant écrivain joue la comédie de l’inspiration pour lui-même et pour les adultes. Cette « imposture nouvelle » se révèle finalement salutaire pour l’enfant qui trouve enfin sa vérité dans le choix existentiel de l’écriture :

Je suis né de l’écriture : avant elle, il n’y avait qu’un jeu de miroirs ; dès mon premier roman, je sus qu’un enfant s’était introduit dans le palais de glaces. Écrivant, j’existais, j’échappais aux grandes personnes (p. 130-131).

Quand, à huit ans, le grand-père parle à l’enfant de sa vocation – une humble carrière de professeur de lettres Poulou connaît d’abord une période de désenchantement. Mais entre huit et dix ans, il se ressaisit en « repr(enant) à (s)on compte dans l’arrogance le mandat soi-disant impératif /.../reçu dans l’humilité ». C’est alors qu’il se met à fantasmer sur le destin de l’écrivain – héros aventurier, martyr – et à jouer au jeu de la postérité, imaginant « deux dénouements » : la mort et la gloire ou la gloire et la mort.

Analyse de l’extrait p. 162-164 : l’écrivain, la mort et la gloire

Pages extraordinaires d’une extrême densité qu’on peut lire tout aussi bien comme les fantasmes d’un enfant à la recherche de sa nécessité* ‒ donner un sens à sa vie – que comme une mise en pièces magistrale du mythe, élaboré au XIXe siècle, de l’écrivain bourgeois accédant à l’immortalité (référence à Chateaubriand, soulignée par la citation des Mémoires d’outre-tombe placée en exergue p. 140 : « Je sais fort bien que je ne suis qu’une machine à faire des livres. ») :

A la considérer du haut de ma tombe, ma naissance m’apparut comme un mal nécessaire, comme une incarnation tout à fait provisoire qui préparait ma transfiguration /.../

5. Folie (p. 176-213)

L’acte V s’ouvre sur un coup de théâtre : l’annonce de la folie de l’enfant : « j’étais devenu tout à fait fou. » (p. 176). Pour comprendre la nature de cette folie, il faut attendre les p. 192-193 :

Je m’étais pris pour un prince, ma folie fut de l’être. Névrose caractérielle, dit un analyste de mes amis. Il a raison : entre l’été 14 et l’automne de 1916, mon mandat est devenu mon caractère : mon délire a quitté ma tête pour se couler dans mes os.

La comédie littéraire de l’enfant écrivain, comédie de mauvaise foi* en partie consciente, instable et ambiguë, va se fixer : le rôle de l’Écrivain va désormais lui coller à la peau, de façon inconsciente. L’enfant sauvé par la comédie de l’écriture littéraire deviendra, en effet, à trente ans, l’auteur de La Nausée, l’écrivain « mystifié » et « heureux » croyant au « salut » par l’écriture.

Le coup de théâtre du narrateur relève en fait du tour de prestidigitateur qui fait passer le dernier acte de la « fable dialectique » du conscient à l’inconscient (freudien?), pour nous conduire dans l’épilogue au présent de l’écrivain en 1963 : de la fixation de la névrose* à sa guérison relative : « J’ai changé. » Il importe toutefois de relativiser ce coup de théâtre. En effet, le narrateur a déjà souligné, au moins à deux reprises la dimension pathologique des conduites de l’enfant. Ainsi, dès l’acte II, on voit l’enfant « s’évad(er) du banal cimetière » familial pour « all(er)rejoindre la vie, la folie dans les livres » (p. 46) ‒ « trouv(ant) à l’idée plus de réalité qu’à la chose ». Dans l’acte III, le narrateur évoque également « une authentique névrose », quand, à sept ans, après la perte de sa grand-mère paternelle, l’enfant vivant dans « la terreur » de la mort, fait l’angoissante expérience de sa contingence* ‒ « Je me sentais de trop, donc il fallait disparaître » (p. 83).

 

* En 1972, Sartre définira sa névrose en ces termes :  « Vers 15 ans, puis par la suite en première, j’étais en train de contracter ce que j’ai appelé ma névrose, c’est-à-dire l’idée que, puisque le réel m’était donné par les livres, je toucherais le réel et je donnerais une vérité plus profonde sur le monde si j’écrivais moi-même des livres. » (Sartre par lui-même, A. Astruc et M. Contat).

 

L’épilogue appelle également une lecture idéologique que nous développerons dans la dernière partie.

 

Les Mots ou la fusion réussie de la narration autobiographique et du discours philosophique.

Indéniablement, c’est le sens et non la chronologie qui dicte l’ordre de la narration : les « souvenirs frappants » sont toujours choisis en fonction de cet ordre dialectique (cf. supra). Plus troublant encore, ces mêmes souvenirs d’enfance font l’objet de versions vraiment différentes dans Les Carnets et dans Les Mots. Vérité toute relative du souvenir. Pour le philosophe de L’ Ȇtre et le Néant, le passé n’existe en effet qu’en fonction du regard et du projet de signification que le présent jette sur lui. Le discours philosophique imposant ainsi son ordre à la narration, on pourrait craindre que le récit autobiographique ne finisse par ressembler à un récit à thèse. En réalité, il n’en est rien car l’écrivain a su maquiller habilement cet ordre dialectique, en usant, comme on l’a vu, de formules dramatiques qui impriment au récit un dynamisme extraordinaire, maintenant le lecteur en haleine à coups d’accélérations fulgurantes et de retournements de situation. En outre, la narration des souvenirs d’enfance est tellement bien fondue dans la trame philosophique du texte qu’il est quasiment impossible à la première lecture de percevoir l’architecture du projet* existentiel de l’enfant qui sous-tend le récit autobiographique et lui donne la cohérence d’une vie.

 

Reconstruire le projet de l’enfant sauvé par « les mots », pour éclairer une vie entière consacrée à l’écriture, tel est le sens de cette autobiographie existentielle totalisant une vie d’écrivain ‒ une entreprise unique dont Sartre pouvait dire, à juste titre, que ce n’était pas « l’histoire de (s)on passé », mais, bel et bien, « l’histoire de (s)on avenir ».

 

 

 

Une autobiographie engagée en forme d’adieu jubilatoire à la littérature

 

« Une entreprise de démystification »

Le discours philosophique des Mots comporte incontestablement une dimension idéologique qui tient, comme on l’a vu précédemment, à la genèse de l’entreprise autobiographique, conçue initialement dans un contexte politique de compagnonnage critique avec les communistes dans les années 1954-1955. Même si la dimension politique s’est atténuée dans la version finale de 1963, le récit confession de Sartre n’en demeure pas moins une autobiographie engagée, dénonçant l’imposture culturelle du monde bourgeois. Le texte de la préface de l’auteur, destinée à la version russe des Mots, publiée en novembre 1964 dans la revue Novyi Mir, est à cet égard, sans ambiguïté :

Ce n’est pas au petit garçon que j’en ai mais au milieu, à l’époque qui le formèrent et surtout au mythe de l’enfance, tel que les adultes l’ont forgé. Je demande qu’on prenne ce petit livre pour ce qu’il est : une entreprise de démystification.

Il ne s’agit rien moins que de mettre en pièces allègrement ces vieux mythes de l’enfance merveilleuse, de la sacro-sainte famille bourgeoise et de la religion de la culture. En décrivant l’enfance de Poulou comme une enfance bourgeoise exemplaire, l’écrivain philosophe donne à voir la formation du « produit culturel » que sera l’écrivain Sartre : un enfant prodige fasciné et façonné, entre autres par les livres de la bibliothèque de son grand-père, professeur agrégé d’allemand et quasi précepteur de l’enfant.

Analyse des extraits p. 36-37 / p. 52-53 : la religion du livre

Sartre montre et démontre tout à la fois, avec brio, comment l’individu assimile, dès sa plus tendre enfance, les valeurs de sa classe, comment il obéit aux préjugés de son milieu. Ainsi à travers les gestes d’ « officiant » de son grand-père, l’enfant est amené très tôt à percevoir ces « objets culturels » que sont les livres comme des objets cultuels (cf. la trame métaphorique du sacré).

Analyse du finale (p. 211-213)

Dans l’épilogue, à l’heure du bilan, il est particulièrement intéressant de voir l’écrivain philosophe superposer à l’interprétation psychanalytique de la folie de l’enfant, une interprétation idéologique, d’inspiration marxiste. Les conditionnements de l’enfance ont aussi, effectivement, largement contribué à « cette névrose de littérature ».

La « guérison » de l’écrivain ‒ « un homme qui s’éveille, guéri d’une longue, amère et douce folie », « depuis à peu près dix ans » (vers 1953, période où il découvre « le social » aux côtés des communistes) – a tout d’une conversion : « je vois clair, je suis désabusé, je connais mes vraies tâches ». Il a désormais pris conscience de l’idéologie de la culture bourgeoise (individualisme, idéalisme, religion de la littérature et de la culture) qui a conditionné sa vocation d’enfant et a longtemps mystifié l’écrivain qui a cru au « salut par l’écriture ». Désormais « l’illusion rétrospective est en miettes ; martyre, salut, immortalité, tout se délabre, l’édifice tombe en ruines ». Guérison toute relative : malgré sa prise de conscience, sa tunique de petit-bourgeois lui colle encore à la peau :

ce vieux bâtiment ruineux, mon imposture, c’est aussi mon caractère : on se défait d’une névrose, on ne guérit pas de soi.

La chute des Mots n’en offre pas moins au lecteur une répudiation magistrale de l’individualisme bourgeois :

Si je range l’impossible salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui.

 

 

Un adieu jubilatoire à la littérature

Les Mots, une autobiographie engagée certes, mais comme Sartre le rappelait dans sa présentation des Temps modernes en 1945, « l’engagement ne doit en aucun cas, faire oublier la littérature », car, devait-il ajouter dans Qu’est-ce que la littérature ? « On n’est pas écrivain pour avoir choisi de dire certaines choses, mais pour avoir choisi de les dire d’une certaine façon. » Au terme de son récit autobiographique, le philosophe a effectivement déboulonné l’écrivain Sartre de son piédestal. Le mythe du Salut par l’écriture est bel et bien mort. Certes, l’écrivain « (a) désinvesti mais n’(a) pas défroqué. » Sans illusion sur sa mission d’écrivain, il n’en reste pas moins un artiste amoureux des mots qui connaît admirablement son métier. L’entreprise des Mots en est l’illustration exemplaire, répondant au vœu le plus cher de Sartre qui « voulai(t) que ce soit un adieu à la littérature qui se fasse en bel écrit. » (Sartre par lui-même, A. Astruc et M. Contat, 1972).

L’écrivain a particulièrement soigné sa sortie, soucieux qu’il était de l’élaboration stylistique de son ouvrage : ne confiait-il pas à S. de Beauvoir, vers la fin de sa vie, qu’il avait écrit dans Les Mots, « parmi les phrases les plus travaillées », « voul(ant) qu’il y ait des sous-entendus dans chaque phrase » (Entretiens avec J.P. Sartre, S. de Beauvoir, 1974). Il offre ainsi à ses lecteurs un texte d’une extrême densité où se fondent le récit et l’analyse, l’image et le concept, un texte on ne peut plus saturé de références culturelles à visée parodique le plus souvent, brillant de tous les feux de la rhétorique, le tout empreint d’une ironie omniprésente qui joue subtilement de la distance entre l’enfant (naïf) ‒ tantôt Poulou réel, tantôt Poulou fantasmant – et l’écrivain philosophe reconstruisant Poulou.

A titre d’exemple, revenons brièvement sur la fin de l’extrait intitulé

► L’écrivain : la mort et la gloire.

Une de ces pages vertigineuses où l’écrivain philosophe et artiste laisse éclater sa jubilation triomphante de créateur heureux de s’abandonner au « plaisir d’écrire /.../ pour tailler ce corps de gloire dans les mots. », qui sauve son existence de la contingence*, en la transfigurant par le rayonnement spirituel de son œuvre. Une page extraordinairement dense où la différence entre l’enfance et la maturité tend à s’effacer, pour laisser place au présent éternel de l’écrivain :

Moi : vingt-cinq tomes, dix-huit mille pages de texte /.../ Je renais, je deviens enfin tout un homme, pensant, parlant, chantant, tonitruant qui s’affirme avec l’inertie péremptoire de la matière. On me prend, on m’ouvre, on m’étale sur la table /.../ Je me laisse faire et puis tout à coup, je fulgure, j’éblouis, je m’impose à distance /.../

 

 

 

*

 

 

Sartre, qui à travers toute son œuvre, a cherché à unir étroitement la littérature et la philosophie, semble avoir trouvé avec Les Mots le point d’équilibre entre le récit et l’essai, réussissant à fondre à la perfection récit autobiographique et discours philosophique (au sens large) en une forme inédite du genre autobiographique : l’autobiographie existentielle. Il renouvelle ainsi profondément le genre autobiographique, n’hésitant pas non plus à en faire éclater les limites pour le rapprocher du genre romanesque. N’allait-il pas jusqu’à affirmer : « Je pense que Les Mots n’est pas plus vrai que La Nausée ou Les Chemins de la liberté. Non pas que les faits que j’y rapporte ne soient pas vrais, mais Les Mots est une espèce de roman aussi, un roman auquel je crois, mais qui reste malgré tout un roman. » (Autoportrait à 70 ans, Nouvel Observateur, juin-juillet 1975) ? La vérité autobiographique de l’enfant lecteur/écrivain, révélée à travers le prisme de l’imaginaire n’est sans doute, pour Sartre, pas très éloignée de la vérité du roman, cet art du « mentir-vrai ».

Adieu flamboyant à la Littérature, Les Mots ne marque cependant ni la fin de l’entreprise autobiographique de l’écrivain philosophe, ni la fin de son œuvre. Certes, contrairement à ce qu’il laissait entendre dans l’épilogue (« Je raconterai plus tard »), Sartre annonçait le 26 janvier 1970 qu’il n’écrirait pas la suite des Mots, estimant sans doute avoir dit l’essentiel, d’autant que les portraits antérieurs de Nizan (1960) et de Merleau-Ponty (1961), apportaient, comme nous l’avons vu, des éclairages complémentaires sur la jeunesse (1916-1940) et la maturité (1941-1961) de l’écrivain. Ce sera finalement un livre d’entretiens de Sartre avec S. de Beauvoir en 1974 qui tiendra lieu de « suite des Mots, mais qui sera arrangé cette fois par thèmes et qui ne sera pas fait avec le style des Mots, puisque, nous dit l’écrivain, je ne puis plus avoir de style » (en raison de sa cécité).

Sartre a beau ne plus concevoir la littérature comme un absolu, celle-ci n’en restera pas moins, jusqu’à sa cécité, sa véritable passion, comme en témoignent les 2800 pages de L’Idiot de la famille (I, II, III), son grand œuvre d’écrivain philosophe, consacrant dix ans de sa vie à son cher Flaubert qu’il avait choisi comme repoussoir, dès L’Être et le Néant en 1943. Avec cet ultime essai biographique existentiel, l’écrivain sonde une nouvelle fois la genèse du génie littéraire, cherchant inlassablement à explorer « le problème des rapports entre le réel et l’imaginaire, à partir de la vie et de l’œuvre de Flaubert » (Situations IX), en croisant, dans une démarche totalisante, les approches de la philosophie, de la critique littéraire, de l’histoire et des sciences humaines. Livre-somme monstrueux qui pourtant, d’après A. Cohen-Solal, « se lit comme un livre d’aventures ». Serait-ce la dernière aventure imaginée par le petit Poulou ? C’est ce que l’écrivain arrivé au terme de son œuvre laisse entendre dans un aveu émouvant à sa fille adoptive, Arlette Elkaïm : « Quant au degré de vérité de cet ouvrage, je n’en sais rien. Enfant, je me racontais des histoires, je n’ai pas cessé. C’est peut-être la dernière histoire que je me raconte... ». Troublante permanence du projet de l’enfant écrivain qui faisait dire à Sartre qu’ « une vie est une enfance mise à toutes les sauces » (L’Idiot de la famille I).

 

 

***

 

Éléments de bibliographie

 

Œuvres de Sartre 

- La Nausée, 1938, Folio

- L’Être et le Néant, 1943, Tel Gallimard

- Saint Genet, comédien et martyr, 1952, Tel Gallimard

- Les Mots et autres écrits autobiographiques (1939-1963), sous la direction de J-F. Louette avec la collaboration de G. Philippe et Juliette Simont, Gallimard, La Pléiade, 2010.

 

- Entretiens avec Jean-Paul Sartre, août-septembre 1974, in La cérémonie des adieux, Simone de Beauvoir, 1981, Folio.

 

Sur Sartre et l’existentialisme

- Sartre, un homme en situations, Textes et débats, Jeannette Colombel, L.P.,1985

- Sartre, une œuvre aux mille têtes, - - - - - - -

- Sartre 1905-1980, Annie Cohen-Solal, Folio essais, 1985 /1999

 

- Sartre dans son histoire, Magazine littéraire, septembre 1975

- L’existentialisme de Kierkegaard à Saint-Germain-prés, Magazine littéraire, avril 1994

- Pour Sartre, Magazine littéraire, février 2000

 

Sur Les Mots

- « L’ordre des Mots » in Le Pacte autobiographique, P. Lejeune, Seuil, 1975

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexes à consulter ci-dessous :

 

- Petit lexique de philosophie existentialiste 

- Quelques extraits emblématiques des Mots de J. P. Sartre

- JEAN-PAUL SARTRE (1905-1980) : parcours chronologique jusqu’en 1945

 

 

 

 

Hubert Bricaud, 11 octobre 2018

 

 

Petit lexique de philosophie existentialiste

 

 

 

Acte

L’existentialisme* est une philosophie du faire. L’homme a la passion d’être. Il ne peut être, trouver une identité que par des actes exemplaires où il doit à chaque fois risquer au regard de lui-même et des autres ce qu’il est. L’acte se distingue du geste qui n’engage pas la subjectivité du sujet.

 

Aliénation

Ma liberté* rencontre dans le fait d’être incarnée dans un corps particulier, dans un certain point du temps et de l’espace autant de limites. La principale est dans la présence d’autrui au regard de qui j’acquiers, sans le vouloir un être déterminé que j’aurai à choisir d’être ou de ne pas être. L’autre aura en effet toujours tendance à me considérer comme une chose, à me ravaler au rang de l’en-soi*.

 

Angoisse

C’est l’affect à travers lequel l’homme fait l’épreuve, l’expérience première de la liberté* comme totale et définitive. Dans l’angoisse, et le désespoir, l’homme découvre sa propre déréliction, sa solitude primitive et finalement irréductible. Dans l’angoisse, l’homme saisit son pouvoir sur lui-même comme infini.

 

Authenticité

C’est la qualité de l’existentialiste conséquent. Être authentique, c’est assumer pour soi-même la condition humaine dans son ambiguïté constitutive. C’est par une réflexion non complice, retrouver le choix* originel que l’on est, accepter d’en porter les exigences et les responsabilités.

 

Choix

Le choix, comme la liberté*, est originaire. Ce que je suis, dans ma différence avec les autres, ma manière d’être au monde, de réagir, de préférer ceci à cela, de vouloir ceci ou cela, résulte d’un choix fondamental qui n’est rien d’autre que moi-même. A l’origine donc, toujours une décision.

 

Conscience

La conscience n’est pas une propriété de la nature humaine, un élément de son équipement intellectuel. C’est la forme même de l’existence* humaine, la distance, et en même temps la relation, qui fait que l’homme existe dans le monde et pour lui-même.

 

Contingence

Surnuméraire, en trop, injustifié, ainsi nous apparaissons-nous à nous-même. Pourquoi suis-je moi plutôt qu’un autre ? Ici plutôt que là ? Parce que Dieu n’existe pas, je suis condamné à être ma propre origine, sans explication, ni justification.

 

Engagement

Nous sommes tous embarqués, condamnés à être libres, engagés à incessamment choisir entre différents possibles. Le statut même de notre liberté* fait que nous avons moins à nous réaliser qu’à nous inventer. Le choix moral est analogue à la production d’une œuvre d’art.

 

En-soi

C’est l’être-là de l’homme et des choses, enfermés dans leur contingence*.

 

Existence

L’existence précède l’essence. Tel est le premier principe de l’existentialisme*. L’homme n’a pas de nature, d’identité. Il n’est programmé pour rien ; il n’a pas de mission. Il n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. L’homme produit sa propre essence en existant. L’existence, c’est la non-coïncidence de l’être avec soi (cf. pour-soi*).

 

 

 

 

Existentialisme

Le mot apparaît pour la première fois dans un ouvrage italien des années 30, alors que K. Jaspers croyait à la même époque avoir inventé ce néologisme en allemand. Il ne se popularise vraiment qu’à partir de 1944, date des premières attaques contre Sartre. Le philosophe, après quelques réticences, finira par revendiquer l’étiquette, faute de mieux, en intitulant sa fameuse conférence du 29 octobre 1945, L’existentialisme est un humanisme.

 

Liberté

L’existentialisme* est un absolutisme de la liberté. Celle-ci ne se confond pas avec le pouvoir de faire ce que l’on veut. La liberté n’est pas la gratuité. Être libre, c’est être condamné à être libre. C’est la conscience* même de soi en tant que chacun se découvre comme sa seule origine, dont il n’a pas lui-même décidé, et comme la seule source du sens et des valeurs dans le monde.

 

Mauvaise foi

La mauvaise foi désigne toutes les formes de conduite où l’homme tente d’échapper à lui-même. La mauvaise foi est une manière commune et quotidienne de fuir sa liberté*. Elle est mensonge à soi-même. Ainsi le « salaud » renonce à sa liberté*, en acceptant de figer son existence* dans une essence, en réduisant son être à un rôle social.

 

Nausée

Manifestation sensible du malaise engendré par la prise de conscience de la contingence*.

 

Nécessité

C’est ce qui permet de surmonter la contingence*.

 

Ontologie

Parmi les objets qui peuplent le monde, l’homme jouit d’un être particulier, absolument original. Un rien le maintient perpétuellement à distance. Sa manière d’être est d’exister (cf. pour-soi*).

 

Phénoménologie

Méthode élaborée par Husserl (1859-1938), qui consiste à décrire les choses telles qu’elles apparaissent au regard ou à la conscience, abstraction faite de tout jugement ou de toute connaissance acquise.

 

Pour-soi

« C’est un être qui existe en tant qu’il n’est pas ce qu’il est et qu’il est ce qu’il n’est pas. » (L’Être et le Néant). En d’autres termes, le pour-soi est la façon d’être du sujet humain toujours en devenir, qui, par sa conscience* d’être libre, cherche à s’arracher à l’engluement de l’en-soi*.

 

Projet

« L’homme n’est rien d’autre que son projet. » (L’existentialisme est un humanisme). L’homme se définit par le projet de donner tel ou tel sens à la situation* où il est engagé. Par les choix qu’il effectue, l’homme se situe et s’invente.

 

Situation

La liberté* humaine est toujours située. Nous ne voyons jamais le monde que d’un certain point de vue, et nous n’envisageons l’avenir qu’en fonction d’une certaine histoire. La situation définit la manière d’être de la liberté* dans le monde, sa facticité (ce qui est toujours-déjà-là) et ses limites.

 

 

 

N.B. Ce lexique est une version enrichie, et parfois reformulée d’un lexique paru dans Le Magazine Littéraire n° 320, avril 1994, L’existentialisme de Kierkegaard à Saint-Germain-des-Prés.

 

 

 

 

Quelques extraits emblématiques des Mots de J.P. Sartre

 

 

 

La religion du livre (p. 36-37 / p. 52-53).

 

J’ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était faite de les épousseter sauf une fois l’an, avant la rentrée d’octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait. Elles se ressemblaient toutes, je m’ébattais dans un minuscule sanctuaire, entouré de monuments trapus, antiques qui m’avaient vu naître, qui me verraient mourir et dont la permanence me garantissait un avenir aussi calme que le passé. Je les touchais en cachette pour honorer mes mains de leur poussière mais je ne savais trop qu’en faire et j’assistais chaque jour à des cérémonies dont le sens m’échappait : mon grand-père si maladroit, d’habitude, que ma mère lui boutonnait ses gants ‒ maniait ses objets culturels avec une dextérité d’officiant. Je l’ai vu mille fois se lever d’un air absent, faire le tour de la table, traverser la pièce en deux enjambées, prendre un volume sans hésiter, sans se donner le temps de choisir, le feuilleter en regagnant son fauteuil, par un mouvement combiné du pouce et de l’index puis, à peine assis, l’ouvrir d’un coup sec « à la bonne page » en le faisant craquer comme un soulier.

*

 

J’avais trouvé ma religion : rien ne me parut plus important qu’un livre. La bibliothèque, j’y voyais un temple. Petit-fils de prêtre, je vivais sur le toit du monde, au sixième étage, perché sur la plus haute branche de l’Arbre Central : le tronc, c’était la cage de l’ascenseur. J’allais, je venais sur le balcon, je jetais sur les passants un regard de surplomb, je saluais, à travers la grille, Lucette Moreau, ma voisine, qui avait mon âge, mes boucles blondes et ma jeune féminité, je rentrais dans la cella ou dans le pronaos, je n’en descendais jamais en personne : quand ma mère m’emmenait au Luxembourg ‒ c’est-à-dire quotidiennement ‒ je prêtais ma guenille aux basses contrées mais mon corps glorieux ne quittait pas son perchoir, je crois qu’il y est encore. Tout homme a son lieu naturel ; ni l’orgueil ni la valeur n’en fixent l’altitude : l’enfance décide. Le mien, c’est un sixième étage parisien avec vue sur les toits.

 

 

La comédie littéraire : de l’enfant lecteur (p. 61-62) à l’enfant écrivain (p. 122-124).

 

Je me couchais sur le ventre, face aux fenêtres, un livre ouvert devant moi, un verre d’eau rougie à ma droite, à ma gauche, sur une assiette, une tartine de confiture. Jusque dans la solitude, j’étais en représentation : Anne-Marie, Karlémami avaient tourné ces pages bien avant que je fusse né, c’était leur savoir qui s’étalait à mes yeux ; le soir, on m’interrogerait :  « Qu’as-tu lu ? qu’as-tu compris ? », je le savais, j’étais en gésine, j’accoucherais d’un mot d’enfant ; fuir les grandes personnes dans la lecture, c’était le meilleur moyen de communier avec elles ; absentes, leur regard futur entrait en moi par l’occiput, ressortait par les prunelles, fléchait à ras du sol ces phrases cent fois lues que je lisais pour la première fois. Vu, je me voyais : je me voyais lire comme on s’écoute parler. Avais-je tant changé depuis le temps où je feignais de déchiffrer « le Chinois en Chine » avant de connaître l’alphabet ? Non : le jeu continuait. Derrière moi, la porte s’ouvrait, on venait voir « ce que je fabriquais » : je truquais, je me relevais d’un bond, je remettais Musset à sa place et j’allais aussitôt, dressé sur la pointe des pieds, les bras levés, prendre le pesant Corneille ; on mesurait ma passion à mes efforts, j’entendais derrière moi, une voix éblouie chuchoter : «  Mais c’est qu’il aime Corneille ! » Je ne l’aimais pas : les alexandrins me rebutaient. Par chance l’éditeur n’avait publié in extenso que les tragédies les plus célèbres ; des autres il donnait le titre et l’argument analytique : c’est ce qui m’intéressait : « Rodelinde, femme de Pertharite, roi des Lombards et vaincu par Grimoald, est pressée par Unulphe de donner sa main au prince étranger... » Je connus Rodogune, Théodore, Agésilas, avant Le Cid, avant Cinna ; je m’emplissais la bouche de noms sonores, le cœur de sentiments sublimes et j’avais souci de ne pas m’égarer dans les liens de parenté. On dit aussi : « Ce petit a la soif de s’instruire ; il dévore le Larousse ! » et je laissais dire. Mais je ne m’instruisais guère : j’avais découvert que le dictionnaire contenait des résumés de pièces et de romans ; je m’en délectais.

J’aimais plaire et je voulais prendre des bains de culture : je me rechargeais de sacré tous les jours. Distraitement parfois : il suffisait de me prosterner et de tourner les pages ; les œuvres de mes petits amis me servirent fréquemment de moulins à prières. En même temps, j’eus des effrois et des plaisirs pour de bon ; il m’arrivait d’oublier mon rôle et de filer à tombeau ouvert, emporté par une folle baleine qui n’était autre que le monde. Allez conclure ! En tout cas mon regard travaillait les mots : il fallait les essayer, décider de leur sens ; la Comédie de la culture, à la longue, me cultivait.

 

*

 

Si l’auteur inspiré, comme on croit communément, est autre que soi au plus profond de soi-même, j’ai connu l’inspiration entre sept et huit ans.

Je ne fus jamais tout à fait dupe de cette « écriture automatique ». Mais le jeu me plaisait aussi pour lui-même : fils unique, je pouvais y jouer seul. Par moments, j’arrêtais ma main, je feignais d’hésiter pour me sentir, front sourcilleux, regard halluciné, un écrivain. J’adorais le plagiat, d’ailleurs, par snobisme et je le poussais, délibérément à l’extrême comme on va voir.

Boussenard et Jules Verne ne perdent pas une occasion d’instruire : aux instants les plus critiques, ils coupent le fil du récit pour se lancer dans la description d’une plante vénéneuse, d’un habitat indigène. Lecteur, je sautais ces passages didactiques ; auteur, j’en bourrai mes romans ; je prétendis enseigner à mes contemporains tout ce que j’ignorais : les mœurs des Fuégiens, la flore africaine, le climat du désert. Séparés par un coup du sort puis embarqués sans le savoir sur le même navire, et victimes du même naufrage, le collectionneur de papillons et sa fille s’accrochaient à la même bouée, levaient la tête, chacun jetait un cri : « Daisy ! », « Papa ! ». Hélas un squale rôdait en quête de chair fraîche, il s’approchait, son ventre brillait entre les vagues. Les malheureux échapperaient-ils à la mort ? J’allais chercher le tome « Pr-Z » du Grand Larousse, je le portais péniblement jusqu’à mon pupitre, l’ouvrais à la bonne page et copiais mot pour mot en passant à la ligne : « Les requins sont communs dans l’Atlantique tropical. Ces grands poissons de mer très voraces atteignent jusqu’à treize mètres de long et pèsent jusqu’à huit tonnes... » Je prenais tout mon temps pour transcrire l’article : je me sentais délicieusement ennuyeux, aussi distingué que Boussenard et, n’ayant pas encore trouvé le moyen de sauver mes héros, je mijotais dans des transes exquises.

Tout destinait cette activité nouvelle à n’être qu’une singerie de plus. Ma mère me prodiguait les encouragements, elle introduisait les visiteurs dans la salle à manger pour qu’ils surprissent le jeune créateur à son pupitre d’écolier ; je feignais d’être trop absorbé pour sentir la présence de mes admirateurs ; ils se retiraient sur la pointe des pieds en murmurant que j’étais trop mignon, que c’était trop charmant. Mon oncle Émile me fit cadeau d’une petite machine à écrire dont je ne me servis pas, Mme Picard m’acheta une mappemonde pour que je puisse fixer sans risque d’erreur l’itinéraire de mes globe-trotters. Anne-Marie recopia mon second roman Le Marchand de bananes sur du papier glacé et le fit circuler. Mamie elle-même m’encourageait : « Au moins, disait-elle, il est sage, il ne fait pas de bruit. » Par bonheur la consécration fut différée par le mécontentement de mon grand-père.

Karl n’avait jamais admis ce qu’il appelait mes « mauvaises lectures ». Quand ma mère lui avait annoncé que j’avais commencé d’écrire, il fut d’abord enchanté, espérant, je suppose, une chronique de notre famille avec des observations piquantes et d’adorables naïvetés. Il prit mon cahier, le feuilleta, fit la moue et quitta la salle à manger, outré de retrouver sous ma plume les « bêtises » de mes journaux favoris.

L’écrivain : la mort et la gloire (p. 162-164).

 

La mort était mon vertige parce que je n’aimais pas vivre : c’est ce qui explique la terreur qu’elle m’inspirait. En l’identifiant à la gloire, j’en fis ma destination. Je voulus mourir ; parfois l’horreur glaçait mon impatience : jamais longtemps ; ma joie sainte renaissait, j’attendais l’instant de foudre où je flamberais jusqu’à l’os. Nos intentions profondes sont des projets et des fuites inséparablement liés : l’entreprise folle d’écrire pour me faire pardonner mon existence, je vois bien qu’elle avait, en dépit des vantardises et des mensonges, quelque réalité : la preuve en est que j’écris encore, cinquante ans après. Mais si je remonte aux origines, j’y vois une fuite en avant, un suicide à la Gribouille ; oui, plus que l’épopée, plus que le martyre, c’était la mort que je cherchais. Longtemps j’avais redouté de finir comme j’avais commencé, n’importe où, n’importe comment, et que ce vague trépas ne fût que le reflet de ma vague naissance. Ma vocation changea tout : les coups d’épée s’envolent, les écrits restent, je découvris que le Donateur, dans les Belles-Lettres, peut se transformer en son propre Don, c’est-à-dire en objet pur. Le hasard m’avait fait homme, la générosité me ferait livre ; je pourrais couler ma babillarde, ma conscience dans des caractères de bronze, remplacer les bruits de ma vie par des inscriptions ineffaçables, ma chair par un style, les molles spirales du temps par l’éternité, apparaître au Saint-Esprit comme un précipité du langage, devenir une obsession pour l’espèce, être autre enfin, autre que moi, autre que les autres, autre que tout. Je commencerais par me donner un corps inusable et puis je me livrerais aux consommateurs. Je n’écrirais pas pour le plaisir d’écrire mais pour tailler ce corps de gloire dans les mots. A la considérer du haut de ma tombe, ma naissance m’apparut comme un mal nécessaire, comme une incarnation tout à fait provisoire qui préparait ma transfiguration : pour renaître, il fallait écrire, pour écrire, il fallait un cerveau, des yeux, des bras ; le travail terminé, ces organes se résorberaient d’eux-mêmes : aux environs de 1955, une larve éclaterait, vingt-cinq papillons in-folio s’en échapperaient, battant de toutes leurs pages pour s’aller poser sur un rayon de la Bibliothèque nationale. Ces papillons ne seraient autres que moi. Moi : vingt-cinq tomes, dix-huit mille pages de texte, trois cents gravures dont le portrait de l’auteur. Mes os sont de cuir et de carton, ma chair parcheminée sent la colle et le champignon, à travers soixante kilos de papier je me carre, tout à l’aise. Je renais, je deviens enfin tout un homme, pensant, parlant, chantant, tonitruant, qui s’affirme avec l’inertie péremptoire de la matière. On me prend, on m’ouvre, on m’étale sur la table, on me lisse du plat de la main et parfois on me fait craquer. Je me laisse faire et puis tout à coup je fulgure, j’éblouis, je m’impose à distance, mes pouvoirs traversent le temps et l’espace, foudroient les méchants, protègent les bons. Nul ne peut m’oublier, ni me passer sous silence : je suis un grand fétiche maniable et terrible. Ma conscience est en miettes : tant mieux. D’autres consciences m’ont pris en charge. On me lit, je saute aux yeux ; on me parle, je suis dans toutes les bouches, langue universelle et singulière ; dans des millions de regards je me fais curiosité prospective ; pour celui qui sait m’aimer, je suis son inquiétude la plus intime mais, s’il veut me toucher, je m’efface et disparais ; je n’existe plus nulle part, je suis, enfin ! Je suis partout : parasite de l’humanité, mes bienfaits la rongent et l’obligent sans cesse à ressusciter mon absence.

Ce tour de passe-passe réussit : j’ensevelis la mort dans le linceul de la gloire, je ne pensai plus qu’à celle-ci, jamais à celle-là, sans m’aviser que les deux n’étaient qu’une. A l’heure où j’écris ces lignes, je sais que j’ai fait mon temps à quelques années près. Or je me représente clairement, sans trop de gaîté, la vieillesse et ma future décrépitude, la décrépitude et la mort de ceux que j’aime ; ma mort, jamais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le finale (p. 211-213)

 

J’ai changé. Je raconterai plus tard quels acides ont rongé les transparences déformantes qui m’enveloppaient, quand et comment j’ai fait l’apprentissage de la violence, découvert ma laideur ‒ qui fut pendant longtemps mon principe négatif, la chaux vive où l’enfant merveilleux s’est dissous ‒ par quelle raison je fus amené à penser systématiquement contre moi-même au point de mesurer l’évidence d’une idée au déplaisir qu’elle me causait. L’illusion rétrospective est en miettes ; martyre, salut, immortalité, tout se délabre, l’édifice tombe en ruine, j’ai pincé le Saint-Esprit dans les caves et je l’en ai expulsé ; l’athéisme est une entreprise cruelle et de longue haleine : je crois l’avoir menée jusqu’au bout. Je vois clair, je suis désabusé, je connais mes vraies tâches, je mérite sûrement un prix de civisme ; depuis à peu près dix ans je suis un homme qui s’éveille, guéri d’une longue, amère et douce folie et qui n’en revient pas et qui ne peut se rappeler sans rire ses anciens errements et qui ne sait plus que faire de sa vie. Je suis redevenu le voyageur sans billet que j’étais à sept ans : le contrôleur est entré dans mon compartiment, il me regarde moins sévère qu’autrefois : en fait il ne demande qu’à s’en aller, qu’à me laisser finir le voyage en paix ; que je lui donne une excuse valable, n’importe laquelle, il s’en contentera. Malheureusement je n’en trouve aucune et, d’ailleurs, je n’ai même pas envie d’en chercher : nous resterons en tête à tête, dans le malaise, jusqu’à Dijon où je sais fort bien que personne ne m’attend.

J’ai désinvesti mais je n’ai pas défroqué : j’écris toujours. Que faire d’autre ?

Nulla dies sine linea.

C’est mon habitude et puis c’est mon métier. Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée : à présent je connais notre impuissance. N’importe : je fais, je ferai des livres ; il en faut ; cela sert tout de même. La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas. Mais c’est un produit de l’homme : il s’y projette, s’y reconnaît ; seul, ce miroir critique lui offre son image. Du reste, ce vieux bâtiment ruineux, mon imposture, c’est aussi mon caractère : on se défait d’une névrose, on ne guérit pas de soi. Usés, effacés, humiliés, rencoignés, passés sous silence, tous les traits de l’enfant sont restés chez le quinquagénaire. La plupart du temps ils s’aplatissent dans l’ombre, ils guettent : au premier instant d’inattention, ils relèvent la tête et pénètrent dans le plein jour sous un déguisement : je prétends sincèrement n’écrire que pour mon temps mais je m’agace de ma notoriété présente : ce n’est pas la gloire puisque je vis et cela suffit pourtant à démentir mes vieux rêves, serait-ce que je les nourris encore secrètement ? Pas tout à fait : je les ai, je crois, adaptés : puisque j’ai perdu mes chances de mourir inconnu, je me flatte quelquefois de vivre méconnu. Grisélidis pas morte. Pardaillan m’habite encore. Et Strogoff. Je ne relève que d’eux qui ne relèvent que de Dieu et je ne crois pas en Dieu. Allez vous y reconnaître. Pour ma part, je ne m’y reconnais pas et je me demande parfois si je ne joue pas à qui perd gagne et ne m’applique à piétiner mes espoirs d’autrefois pour que tout me soit rendu au centuple. En ce cas je serais Philoctète : magnifique et puant, cet infirme a donné jusqu’à son arc sans condition : mais, souterrainement, on peut être sûr qu’il attend sa récompense.

Laissons cela. Mamie dirait :

« Glissez, mortels, n’appuyez pas. »

Ce que j’aime en ma folie, c’est qu’elle m’a protégé, du premier jour, contre les séductions de « l’élite » : jamais je ne me suis cru l’heureux propriétaire d’un « talent » : ma seule affaire était de me sauver ‒ rien dans les mains, rien dans les poches ‒ par le travail et la foi. Du coup ma pure option ne m’élevait au-dessus de personne : sans équipement, sans outillage, je me suis mis tout entier à l’œuvre pour me sauver tout entier. Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui.

 

 

 

 

 

JEAN-PAUL SARTRE (1905-1980) : parcours chronologique jusqu’en 1945

 

Enfance et formation (1905-1931)

 

1905. Naissance le 7 février de J.P. Sartre à Paris, fils de Jean-Baptiste Sartre, polytechnicien entré à l’École navale, et d’Anne-Marie Schweitzer, cousine d’Albert Schweitzer.

1906. Mort du père de J.P. Sartre à Thiviers, des suites d’une fièvre contractée en Cochinchine. Anne-Marie retourne avec son fils chez ses parents à Meudon.

1911. la famille Schweitzer s’installe au 1, rue Le Goff à Paris, tout près du Jardin du Luxembourg où le grand-père Charles Schweitzer, professeur agrégé d’allemand, fonde un institut de langues vivantes.

1912-1917. « Poulou » vit désormais chez ses grands-parents « Karlémami » et sa mère qu’il considère un peu comme une sœur. Sartre racontera dans Les Mots son enfance de « caniche d’avenir » avec ses vastes lectures (selon deux ordres : l’« officiel » avec ses grands auteurs ‒ Corneille, Hugo, Flaubert etc. ‒ et le « clandestin » avec ses « vraies lectures d’enfant », de Pardaillan de M. Zévaco à Nick Carter) et ses premières expériences d’écriture romanesque.

1915. Après deux courtes expériences malheureuses d’école primaire en 1913 et 1914, « Poulou » entre comme externe en sixième au lycée Henri IV.

1917-1919. Les traumatismes de l’enfant : remariage d’Anne-Marie avec Joseph Mancy, polytechnicien, nommé directeur de constructions navales à La Rochelle ; départ pour La Rochelle ; découverte de sa « laideur » et apprentissage de la violence au lycée.

1919-1922. Sartre, pensionnaire au lycée Henri IV, retrouve son cher camarade Paul Nizan qu’il avait connu en cinquième. Il obtient brillamment ses deux parties de baccalauréat.

1922-1924. Devenus des amis inséparables, Nizan et Sartre préparent ensemble à Louis-le-Grand le concours d’entrée à l’École normale supérieure qu’ils réussissent sans difficulté. Sartre, tout en continuant à écrire de petits romans, se prend d’intérêt pour la philosophie à l’occasion d’une dissertation sur « La Conscience de durer », proposée après une lecture de l’Essai sur les données immédiates de la conscience de Bergson.

1924-1928. Années studieuses à l’E.N.S. ‒ « quatre années de bonheur » pour Sartre – où l’étudiant « se fait remarquer par sa puissance de travail, par ses résultats brillants mais aussi par son entrain et sa bonne humeur » (G. Canguilhem). Il poursuit l’écriture de petits romans philosophiques, notamment Une défaite, d’inspiration nietzschéenne.

1928. A la surprise générale, Sartre échoue à l’écrit de l’agrégation de philosophie : il « avai(t) essayé d’être original. Ça a déplu... ».

1929. Sartre et Simone de Beauvoir se rencontrent aux cours de philosophie de la Sorbonne. Ils se lient vraiment, lors de la préparation de l’oral de l’agrégation. Naissance d’un couple de légende, fondé sur une collaboration intellectuelle sans faille et scellé par un pacte de transparence absolue ‒ quelque peu mis à mal, il est vrai, par la publication posthume de leurs correspondances respectives ‒, distinguant l’ « amour nécessaire » des « amours contingentes » et excluant toute procréation.

Sartre est reçu premier à l’agrégation de philosophie, Beauvoir est deuxième.

1929-1931. Il fait son service militaire comme météorologue à Saint-Cyr où il retrouve comme instructeur Raymond Aron, son condisciple de l’E.N.S.

 

Années d’enseignement et de maturation de l’écrivain philosophe (1931-1939)

 

1931-1933. Professeur – à succès – au lycée du Havre. Commence en 1932 un « factum (essai) sur la contingence* », d’où naîtra La Nausée.

Lectures marquantes de Hemingway, Dos Passos, Faulkner, Malraux, Céline, Joyce et Kafka.

Premiers voyages de vacances avec S. de Beauvoir en Espagne et au Maroc.

Découverte de la phénoménologie* grâce à Aron et à Lévinas.

1933-1934. Séjour d’un an à l’Institut français de Berlin. Il succède à R. Aron et étudie Husserl (beaucoup) et Heidegger (un peu). Il achève une seconde version de Melancholia (la future Nausée) et rédige l’essai sur La Transcendance de l’Ego – « esquisse d’une description phénoménologique* » (Sartre) – qui sera publié en 1937.

Comme les autres pensionnaires de l’Institut, Sartre sous-estime le péril nazi : il était, selon S. de Beauvoir, « convaincu de l’imminente débâcle de l’hitlérisme ».

1935-1936. Dans la perspective de son essai sur L’Imagination (1936), Sartre se fait injecter de la mescaline par un ancien condisciple de l’E.N.S., le Dr D. Lagache, à l’hôpital Sainte- Anne. Il traverse alors deux années de dépression, marquées à la fois par des « retours » pénibles de son expérience sous hallucinogène et par sa passion malheureuse pour Olga Kosakiewicz, ancienne élève de Beauvoir, et son amante, mais qui se refusera toujours à lui. La crise est finalement surmontée par la formation d’un trio avec Olga.

L’écrivain observe avec sympathie les manifestations du Front Populaire, mais s’abstient aux élections.

1937. Après avoir été refusé l’année précédente, Melancholia est finalement accepté par Gallimard, moyennant des modifications suggérées par Brice Parain et un nouveau titre choisi par l’éditeur : La Nausée.

Parution de la nouvelle Le Mur dans la N.R.F.

Sartre est nommé au lycée Pasteur, à Neuilly.

1938. Parution et succès de La Nausée.

Sartre continue à écrire des nouvelles et commence un nouveau roman  : L’Âge de raison.

Il rencontre Wanda, la sœur cadette d’Olga avec qui il aura une longue liaison et qui jouera dans nombre de ses pièces.

1939. En février, parution d’un recueil de nouvelles, Le Mur, avec deux titres inédits : Érostrate et L’Enfance d’un chef.

 

Les années de guerre : du soldat écrivain à « l’écrivain qui résistait » (1939-1944)

 

1939-1940. Le 2 septembre, Sartre est mobilisé et envoyé comme météorologue en Alsace.

Le 14 septembre, il commence son « journal de guerre » qui ne sera publié qu’en 1983 sous le titre Carnets de la drôle de guerre. En parallèle, il entretient une correspondance nourrie avec S. de Beauvoir.

Fait prisonnier en Lorraine, le 21 juin, il est transféré au Stalag XII D, à Trèves. Se lie d’amitié avec des prêtres, leur traduit Sein und Zeit (Être et temps) de Heidegger, relit la Bible et apprécie, comme à l’E.N.S., la vie collective.

Le 24 décembre, il met en scène Bariona, une nativité symbolique qu’il a écrite pour les prisonniers.

1941. En mars, il obtient sa libération en se faisant passer pour infirme de la vue, donc civil, et en faisant maquiller ses papiers d’identité. De retour à Paris, il fonde un groupe de résistance intellectuelle – Socialisme et Liberté – avec, entre autres, Merleau-Ponty, Beauvoir, J. Pouillon, J. et D. Desanti, ‒ un groupe qui ne dure guère en raison de son manque d’expérience politique et de l’hostilité des communistes.

En octobre, il est nommé en khâgne au lycée Condorcet. Après avoir terminé L’Âge de raison, le philosophe commence L’Être et le Néant.

1942. Sartre termine Les Mouches et commence Le Sursis.

1943. Il devient membre du Comité national des écrivains, rattaché au Conseil national de la Résistance, et collabore aux Lettres françaises clandestines

En juin, parution de L’Être et le Néant, Essai d’ontologie phénoménologique* et première des Mouches au théâtre de la Cité, dans une mise en scène de Charles Dullin. Pièce agréée par la censure allemande et présentée avec l’accord du Comité national des écrivains.

Sartre se lie avec Camus, Queneau et Leiris.

1944. En mai, Sartre fait la connaissance de J. Genet. R. Rouleau met en scène Huis clos au théâtre du Vieux-Colombier. C’est l’événement culturel qui ouvre l’âge d’or de Saint-Germain-des-Prés.

En juin, l’écrivain décide de mettre un terme à sa carrière d’enseignant.

En août-septembre, recruté comme reporter par Camus pour Combat, Sartre donne une série d’articles sur les journées de la Libération de Paris.

En septembre, il constitue le comité directeur de la revue Les Temps modernes, avec Aron, Beauvoir, Leiris, Merleau-Ponty et Paulhan.

 

La Libération et la consécration de l’écrivain philosophe (1945)

 

En janvier, Sartre, envoyé par Combat, part en voyage officiel aux E.U., en compagnie de sept autres journalistes, pour témoigner de l’effort de guerre américain. Tombé amoureux de Dolorès Vanetti, qui lui fera véritablement découvrir l’Amérique, il prolongera son séjour jusqu’en mai.

En septembre, publication des deux premiers tomes des Chemins de la liberté : L’Âge de raison et Le Sursis.

En octobre, premier numéro des Temps modernes : un manifeste pour une littérature engagée qui n’oublie pas d’être littéraire. Le 29 octobre 1945, Sartre vulgarise les thèses de L’Être et le Néant, dans une conférence intitulée L’existentialisme est un humanisme. Il fait salle comble et met l’existentialisme* à la mode. Sartre est désormais l’écrivain le plus célèbre de l’après-guerre.

 

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