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24 mai 2015 7 24 /05 /mai /2015 08:41

Baruch Spinoza est né le 24 novembre 1632 à Amsterdam, et est mort le 21 février 1677 à La Haye ; il est né dans une famille de négociants juifs d’origine portugaise, installée aux Pays-Bas à la fin du 16e siècle ou au début du 17e.

Après des études dans le cadre de communautés religieuses établies à Amsterdam, Spinoza a appris le latin – langue dans laquelle étaient écrites toutes les œuvres importantes de l’époque – et a fait la découverte de la philosophie de Descartes – qui avait vécu longtemps aux Pays-Bas et où, bien que cela était interdit, sa pensée était enseignée notamment à l’université de Leyde.
= progressivement, ses propres idées ont pris forme, et l’ont amené à prendre ses distances avec la religion : en 1656, il a fait l’objet d’un herem, d’une excommunication de la part de la communauté juive d’Amsterdam ; cette condamnation l’a amené à quitter Amsterdam, et à s’installer dans des villages, où il trouvait tout le calme dont il avait besoin ; parallèlement à ses activités de philosophe, il est devenu polisseur de lentilles, ce qui a dû contribuer, à cause de la poussière occasionnée, à le rendre de santé fragile.

Descartes est un précurseur essentiel pour la pensée de Spinoza : la première œuvre publiée par celui-ci sera une lecture des Principes de la philosophie de Descartes, mais qu’il laissera inachevée : l’un des traits principaux que Spinoza emprunte à Descartes, c’est que celui-ci fonde toute sa philosophie sur l’approche mécaniste du monde.
= mais Spinoza considère que Descartes n’est pas allé assez loin : celui-ci applique bien les principes mécanistes à toute la réalité physique ; mais il affirme l’existence d’une réalité autre que la réalité physique, à laquelle la méthode mécaniste est donc inapplicable : l’âme.
= de la sorte, l’homme, par son âme, échappe aux lois mécaniques qui s’appliquent à son corps : la philosophie de Descartes est un dualisme : il y a deux substances, c'est-à-dire deux réalités distinctes qui se tiennent par soi, indépendamment l'une de l'autre : le corps et la pensée.

Selon Spinoza, puisque l’homme est une partie de la nature, il est tout entier soumis aux lois mécaniques de la nature : il n’est pas «un empire dans un empire» – Préface à la 3e partie de l’Éthique ; il faut donc appliquer la méthode mathématique à la réalité humaine dans son ensemble ; c’est pourquoi l’Éthique est écrit «more geometrico», à la manière d’un traité de géométrie : on y trouve des «définitions», des «propositions», des «axiomes», des «démonstrations», etc. ; c'est pourquoi aussi l’âme et le corps ne sont pas deux réalités différentes, mais seulement une même réalité conçue sous deux angles différents : la philosophie de Spinoza est un monisme : il n'y a qu'une substance.

Si Spinoza n’a publié que deux œuvres de son vivant : Principes de la philosophie de Descartes, et Traité théologico-politique, et si particulièrement il n’a pas publié l’Éthique, c’est principalement à cause de ses idées sur Dieu, sur la religion, sur le pouvoir exercé sur les hommes par le moyen de croyances superstitieuses.
= Spinoza a commencé à travailler à l’Éthique en 1661 ; il en a achevé une première version en 1665, mais reprendra le texte pendant plusieurs années encore, jusqu’en 1670 probablement ; le livre ne sera publié que de manière posthume, en 1677, comme plusieurs autres de ses œuvres.
= l’œuvre se compose de cinq parties : De Dieu, De la nature et de l’origine de l’âme, De l’origine et de la nature des affections, De la servitude de l’homme, De la liberté de l’homme ; chacune de ces parties est conçue comme une partie du travail qu’il faut accomplir pour parvenir à la liberté, et au bonheur ; à la fin de l’Éthique, Spinoza évoque la difficulté à atteindre «le vrai contentement».
_______________

La première phrase de l’Appendice rappelle les différentes thèses que Spinoza a établies dans la 1e partie de l’Éthique, par lesquelles il a expliqué «la nature de Dieu et ses propriétés» ; ce sont les lignes les plus difficiles de cet Appendice, parce qu’elles établissent une conception de Dieu qui n’a rien à voir avec la représentation courante qu’on peut s'en faire ; pour en «faciliter» la lecture, on peut prendre les différents rappels faits par Spinoza dans un ordre différent de celui de leur énonciation.

1 – Commençons par rapprocher l’énoncé de sa troisième qualité, de celui de sa sixième :

- «il est et agit par la seule nécessité de sa nature» (3)
- «tout a été prédéterminé par Dieu, non certes par la liberté de la volonté, autrement dit par un bon plaisir absolu, mais par la nature absolue de Dieu, c’est-à-dire sa puissance infinie.» (6)

Si l’on est attentif à l’expression qui ouvre ce dernier énoncé «tout a été prédéterminé par Dieu», il semble que Spinoza évoque l’idée d’un projet divin, comme si Dieu avait déterminé à l’avance, pensé avant de créer tout ce qui allait exister ; comme si l’ensemble des choses existantes correspondait à une décision préalable de Dieu ayant créé selon un plan.
= or cela signifierait du même coup, que Dieu aurait eu toute latitude pour décider librement de ce projet, pour le définir selon «un bon plaisir absolu», au même titre que je peux librement et volontairement définir un projet, un plan d’un travail à accomplir plus tard ; il y aurait là deux propriétés correspondant à la conception que Descartes se fait de Dieu.
= d'une part, Dieu étant libre et créant selon son «bon plaisir», Il aurait très bien pu créer le monde autrement qu’il ne l’a fait : il aurait pu faire des choix différents ; d'autre part, Dieu est distinct, en tant que créateur, de ce qu’il crée : Il en est séparé, Dieu est transcendant.

Or justement, Spinoza insiste bien pour dire que si «tout a été prédéterminé par Dieu», ce n’est pas «par un bon plaisir absolu» : Dieu, en somme n’a pas choisi de créer le monde tel qu’il est ; il n’y a pas, dans l’existence du monde, de création «libre» au sens de volontaire, choisie.
= Dieu ne décide pas de créer un monde hors de lui, mais «il est et agit par la seule nécessité de sa nature» : Dieu se définit par la nécessité de son action : son action est nécessaire, parce qu’elle découle directement de sa nature.
= si Dieu pouvait créer le monde en étant libre de le choisir, il pourrait hésiter, il serait dans l'indétermination, dans l'incertitude ; éventuellement, cela pourrait laisser entendre qu'il serait susceptible, après-coup, de regretter son choix.
= selon Spinoza, le rapport entre Dieu et les choses doit être défini comme un lien de nécessité; comme si, ayant Dieu, on ne pouvait pas ne pas avoir les choses elles-mêmes ; pour mieux comprendre ce rapport, portons notre attention sur une autre affirmation de Spinoza :

2 – L'affirmation numéro 5 du rappel des thèses sur Dieu dit ceci :

«tout est en Dieu et dépend de lui de telle sorte que rien ne peut être ni être conçu sans lui»

Ce rapport entre Dieu et les choses est ici beaucoup plus net : Dieu n’est pas séparé des choses, il n’est pas transcendant : Il ne se pose pas comme le Créateur d’une création distincte de lui ; si «tout est en Dieu», c’est que Dieu est l’ensemble qui constitue ce «tout».
= d’où la première conséquence énoncée dans la même phrase : «rien ne peut (...) être sans lui» : l’existence de toute chose a sa cause en Dieu ; et la deuxième conséquence : «rien ne peut (...) être conçu sans lui» : on ne peut penser une chose qu’en Dieu même, que par rapport à Lui.

Si l’on tire un premier bilan de cette lecture, on constate que Dieu :
- n’a pas créé le monde librement si l’on entend par là la possibilité de faire un choix, d’exercer sa volonté
- agit selon la nécessité de sa nature
- n’est pas transcendant puisque toute chose est en lui.

On est là exactement à l’opposé de la thèse de Descartes : car en somme, Dieu n’est pas envisagé sous l’aspect d’une «personne», d’un «créateur» ; Il est en réalité identifié à la Nature elle-même. : une formule, qui apparaît dans la Préface à la 4e partie, De la servitude de l’homme, p. 218, le dit très explicitement :

«cet Être éternel et infini que nous appelons Dieu ou la Nature, agit avec la même nécessité qu’il existe».

La formule «Dieu ou la Nature» traduit l’expression latine «Deus sive natura», mot à mot : «Dieu c’est-à-dire la nature» : c’est cette identification qui justifie la Proposition XVIII, p. 43 :

«Dieu est cause immanente mais non transitive de toutes choses».

Autrement dit, Dieu et ce dont il est la cause ne sont pas séparés, puisque la cause est «immanente», dans les choses mêmes : Dieu est la production de toutes choses ; ou, pour établir une équivalence parfaite dans les affirmations : toute chose est une expression de Dieu.
= dès lors, on comprend mieux de quelle nécessité parle Spinoza lorsqu’il dit que Dieu agit «par la seule nécessité de sa nature» ; cette nécessité, on peut l’assimiler au déterminisme des phénomènes naturels : si Dieu ne crée pas la nature, mais est la nature, toute chose qui existe, existe nécessairement, en vertu du déterminisme strict des lois de la nature.

C’est donc en un sens très particulier qu’il faut entendre l’usage du participe passé «prédéterminé» dans l’énonciation de la sixième propriété de Dieu : Celui-ci n’a pas d’abord pensé sa création avant de l’accomplir ; si tout est prédéterminé, c’est que tout obéit à ce déterminisme, à cette nécessité mécanique qui fait qu’un événement est le résultat d’une cause, qui est due à une cause, et ainsi de suite, jusqu'à l’infini.
= mais au-delà de ce sens familier de la notion de nécessité, il faut la lier également à la conception particulière que Spinoza se fait de la liberté ; pour comprendre ce lien, il faut prendre conscience que si Dieu est la Nature, c’est donc qu’il est tout ce qui existe ; en d’autres termes, il n’y a rien d’autre qui existe hors de Dieu, c’est-à-dire hors de la nature.

«Nulle substance en dehors de Dieu ne peut être donnée ni conçue».

Dès lors, ce qui se passe en Dieu, ou plus exactement, la manière dont Dieu «agit», pour garder les termes qu'utilise Spinoza, ne peut pas être due à autre chose que Dieu lui-même, qui lui serait extérieur ; ainsi, comme l’affirme la proposition XVII, p. 40 :

«Dieu agit par les seules lois de sa nature et sans subir aucune contrainte».

Dieu ne peut subir en effet aucune contrainte puisque rien d’extérieur à lui n’existe ; d’où l’application possible à Dieu, et même à Dieu seul, de la définition VII, p. 21 :

«Cette chose est dite libre qui existe par la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir».

= la nécessité dont parle Spinoza n’est pas seulement à entendre comme le déterminisme qui régit les phénomènes naturels : elle est ce qui permet de rendre compte de l’action d’un Être en tant qu’elle n’est soumise à aucune contrainte, c’est-à-dire à aucune influence extérieure venant de quelque chose d’autre.
= aussi y a-t-il une équivalence entre la notion de nécessité de la nature de Dieu, et celle de sa liberté : puisqu’il n’y a rien en dehors de la Nature, c’est-à-dire Dieu, tout ce qui est ou arrive, est ou arrive en vertu de la seule nécessité des lois de la Nature, ce qui revient à dire que tout est ou arrive en vertu de la liberté de Dieu.

C’est ce lien qui nous permettent maintenant de comprendre les affirmations 2, 3, et 4 à propos des propriétés de Dieu :

3 – L'affirmation numéro 2 dit de Dieu que :

«il est unique»

Cette affirmation ne peut être entendue comme si l’on parlait du Dieu des juifs, des chrétiens, ou des musulmans ; dans ces trois religions, on parle d'un Créateur unique de toutes choses, mais séparé de toutes choses ; pour Spinoza, cette affirmation signifie simplement que hors de Dieu, ou de la Nature, il n’y a rien : ce qui veut dire également que tout ce qui est peut être pensé comme étant une seule chose.

Quant aux affirmations 3 et 4, elles disent de Dieu que :

«il est et agit par la seule nécessité de sa nature»
«il est la cause libre de toutes choses, et en quelle maniè
re il l’est»

= tout ce qui est, existe non en vertu d’une décision libre d’un Dieu Créateur, mais en vertu de la nature de Dieu, c’est-à-dire selon la seule nécessité des mécanismes naturels ; «en quelle manière» Dieu est libre, insiste sur l'exigence de ne pas confondre avec la volonté libre cartésienne.

4 – Il reste la première affirmation à expliquer pour disposer d’une représentation relativement complète de ce que Spinoza entend par Dieu.

«il existe nécessairement».

Pour établir cette affirmation, Descartes avait utilisé ce qu’on appelle la preuve ontologique : puisque Dieu est par essence l’être absolument parfait, s’il n’existait pas il ne serait pas parfait ; il est donc contenu dans l’essence même de Dieu, qu’il existe ; Dieu existe nécessairement.
= la démonstration de Spinoza s’appuie de manière plus simple et logique sur la notion de substance, à la Proposition VII, p. 25 :

Il appartient à la nature d’une substance d’exister.

Cette Proposition doit être entendue à partir de la définition III, p. 21 :

J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi.

Cela signifie que la notion même de substance exclut qu’elle puisse être produite par quelque chose d’autre, puisqu’elle est «en soi» ; aussi la notion même de substance implique qu’elle est cause de soi ; d’où le rapport à établir avec la définition I, p. 21 :

J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence ; autrement dit, ce dont la nature ne peut être conçue sinon comme existante.

Le lien entre ces deux définitions est clairement énoncé dans la Démonstration de la Proposition VII, p. 25 :

Une substance ne peut pas être produite par autre chose (...), elle sera donc cause de soi, c’est-à-dire (...) que son essence enveloppe nécessairement l’existence, autrement dit il appartient à sa nature d’exister.

En somme, ce que Spinoza montre par ce raisonnement, c'est que Dieu agit par la seule nécessité de sa nature parce qu'il est unique : aucune contrainte ne s'exerce sur lui de l'extérieur, par quelque chose d'autre ; aussi, et pour la même raison – «il est unique» – Il n'existe que par la seule nécessité de sa nature ; Dieu est donc «en soi» ; autrement dit, il n'y a qu'une seule substance, et c'est Dieu.

1 – Contrairement au Dieu de Descartes, ou au Dieu des religions, le Dieu de Spinoza n'est pas Créateur et séparé de la Nature : il est la Nature ; il agit selon la nécessité de sa nature, c'est-à-dire librement, puisque étant unique, il n'est contraint par rien qui puisse être autre que lui.
2 – Ce Dieu est nécessairement infini puisque, n'y ayant rien d'autre que la Nature, il ne peut être limité par rien qui ne serait pas lui ; il est donc la seule chose qui existe par soi : il est la substance, la totalité de l'Être.
3 – La Nature doit être envisagée de deux points de vue ; en tant que cause libre, production de tout ce qui est : on l'appelle alors «Nature naturante» ; en tant que choses produites dans la nature, et qui découlent «de la nécessité de la nature de Dieu», résultats de cette production : on l'appelle alors «Nature naturée».
4 – Dès lors, ce qui était substances chez Descartes – le corps (matériel) et l'âme (immatérielle) – devient, pour La Substance qu'est Dieu chez Spinoza, des attributs, c'est-à-dire des affections de la substance : la réalité se présente à nous sous forme de matière et de pensée.
5 – Les choses particulières qui existent – arbres, animaux, hommes, etc. – qui en tant que produits par la nature sont «en Dieu», sont appelées par Spinoza des «modes» ; ces choses sont en fait les formes particulières prises par les attributs que nous connaissons de la substance infinie : matière et pensée ; d'où le Corollaire de la Proposition XXV, p. 49 :

Les choses particulières ne sont rien si ce n’est des affections des attributs de Dieu, autrement dit des modes par lesquels les attributs de Dieu sont exprimés d’une manière certaine et déterminée.

Un mot est essentiel à comprendre dans cette phrase : «exprimés» : il n’y a aucun rapport d’extériorité entre la substance, les attributs, les modes ; si la substance est bien la totalité de ce qui est, chaque être particulier est non pas une partie séparée, distincte, autonome de cette totalité, mais une forme particulière en laquelle s’exprime cette totalité.
Faute de pouvoir tirer toutes les conséquences de cette démarche de Spinoza, on se contentera d'évoquer trois enseignements de sa conception de Dieu, au sujet des hommes eux-mêmes.

1 – Spinoza l'annonce dès le début de l'Appendice à la 1e partie : son but, c'est de montrer le préjugé majeur dont les hommes se rendent coupables par rapport à la nature : ils croient que la nature agit toujours en vue d'une fin ; ce qui s'appelle le préjugé de la finalité.
= au lieu de voir dans la nature des causes naturelles à l'origine des phénomènes – ou pour expliquer l'existence des animaux, leur morphologie, etc. – c'est-à-dire des causes mécaniques, ils y voient des intentions, des finalités ; comme si toute chose avait été pensée pour réaliser un but.
= de là cette conception que les hommes ont naturellement tendance à se faire, d'un Dieu créateur, ayant organisé le monde en vue de ces finalités ; sauf que ces finalités sont en réalité toujours interprétées par rapport aux hommes eux-mêmes : nous ne pensons les choses qu'en fonction de valeurs qui nous sont utiles ; ce qui nous amène à deux constats :

a – une telle conception de la nature relève d'une représentation totalement anthropomorphique de la nature : nous attribuons à la nature une forme humaine, en considérant que, de même que toute activité que nous entreprenons, que toute chose que nous créons, elle existe en vue d'une fin ; or, comme les fins de la nature sont interprétées par rapport à nous, cet anthropomorphisme repose au fond sur un anthropocentrisme.
b – aussi, les hommes croient qu'un Dieu créateur a tout créé en vue d'eux-mêmes, qu'ils sont les destinataires de la nature, et que Dieu en retour attend d'eux qu'ils lui rendent un culte ; or, comme ils ne font que projeter en Dieu des propriétés qui sont en eux – mais portées à leur perfection – ce culte qu'ils rendent à Dieu est en réalité un culte qu'ils se rendent à eux-mêmes.

2 – Si Dieu agit selon «la nécessité de sa nature», ou bien, si toute chose n'existe qu'en vertu des lois nécessaires de la nature, cela signifie que rien n'existe en fonction de valeurs qui en justifieraient l'existence selon un plan voulu par un créateur.
= une chose n'existe pas parce qu'il est «bien», ou «utile», ou «beau» qu'elle existe, du fait que Dieu – créateur – l'aurait voulue ainsi ; une chose existe parce que, dans la production de la nature naturante, elle a la puissance d'exister ; tout ce qui est, n'existe qu'en tant qu'il est animé par une puissance qui lui permet d'exister ; ainsi trouvons-nous cette découverte centrale dans la philosophie de Spinoza, qui veut que :

«toute chose, autant qu'il est en elle, tend à persévérer dans son être».

= l'essence d'une chose, la nature d'une chose, c'est la quantité d'effort qu'elle produit pour pouvoir être ; cet effort, c'est ce que Spinoza appelle le conatus : tout être, quel qu'il soit, cherche à imposer son existence, à affirmer sa puissance, à trouver les meilleures conditions de son épanouissement – animal qui se protège, plante qui cherche la lumière, etc.
= dès lors, rien dans la nature n'est ni bien ni mal : tout est affaire de puissance qui tend à s'affirmer ; un virus, un cancer, ne sont en eux-mêmes que des puissances qui tendent à persévérer dans leur être ; en eux-mêmes, ce sont des productions naturelles qui s'affirment positivement.
= de notre point de vue, un virus est d'abord une puissance qui contredit notre puissance, notre effort pour persévérer dans notre être ; il n'est ni bien ni mal : il est bon pour sa puissance et mauvais pour la nôtre ; y voir un sens, une valeur – une punition divine – c'est chercher à se consoler et ainsi se redonner de la force pour mieux persévérer dans notre être.
= de même le bien et le mal dans nos conduites humaines ne se justifient que par rapport à notre effort pour persévérer dans l'être : est jugé «mal» tout acte qui le contrarie, et «bien» tout acte qui le favorise ; les valeurs morales sont des artifices inventés par les hommes : il n'y a pas de morale chez Spinoza, il y a une éthique.

3 – Ce qui signifie que nos conduites relèvent toujours, même si nous avons le sentiment inverse, de mécanismes naturels ; l'homme «n'est pas un empire dans un empire» : il n'échappe jamais à l'action des lois de la nature en lui, alors même qu'il croit être libre dans ses décisions, dans ses «volitions», dans ses désirs ; en réalité, selon Spinoza :

«les hommes se figurent être libres, parce qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit et ne pensent pas (…) aux causes par lesquelles ils sont disposés à appéter et à vouloir, n'en ayant aucune connaissance».

= notre conscience est source d'illusion – métaphore de la pierre ; il n'y a donc pas de libre-arbitre chez l'homme : celui-ci ne peut jamais agir sans dépendre d'une manière ou d'une autre, des lois de la nature ; croire qu'on est libre relève de la «servitude» (partie 4) ; savoir qu'on n'est pas libre constitue la seule liberté possible pour l'homme (partie 5).
= ainsi l'une des philosophies qui a fourni l'un des efforts les plus importants pour penser Dieu avec rigueur, voit-elle en celui-ci la même chose que la Nature, et se présente-t-elle sous la forme d'une des philosophies athées les plus fortes et les plus exigeantes.

__________________________________________________________

J'ai expliqué dans ce qui précède la nature de Dieu et ses propriétés, savoir :
1 – qu'il existe nécessairement ;
2 – qu'il est unique ;
3 – qu'il est et agit par la seule nécessité de sa nature ;
4 – qu'il est la cause libre de toutes choses, et en quelle manière il l'est ;
5 – que tout est en Dieu et dépend de lui de telle sorte que rien ne peut ni être ni être conçu sans lui ;
6 – enfin, que tout a été prédéterminé par Dieu, non certes par la liberté de la volonté, autrement dit par un bon plaisir absolu, mais par l
a nature absolue de Dieu, c'est-à-dire sa puissance infinie.

Début de l'Appendice à la Première Partie de l'Éthique

Cet Être éternel et infini que nous appelons Dieu ou la Nature («Deus sive natura»), agit avec la même nécessité qu’il existe.

Dieu est cause immanente mais non transitive de toutes choses.

Nulle substance en dehors de Dieu ne peut être donnée ni conçue.

Dieu agit par les seules lois de sa nature et sans subir aucune contrainte.

Cette chose est dite libre qui existe par la seule nécessité de sa nature et est déte
rminée par soi seule à agir.

Il appartient à la nature d’une substance d’exister.

J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi.

J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence ; autrement dit, ce dont la nature ne peut être conçue sinon comme existante.

Une substance ne peut pas être produite par autre chose (...), elle sera donc cause de soi, c’est-à-dire (...) que son essence enveloppe nécessairement l’existence, autrement dit il appartient à sa nature d’exister.

Les choses particulières ne sont rien si ce n’est des affections des attributs de Dieu, autrement dit des modes par lesquels les attributs de Dieu sont exprimés d’une manière certaine et déterminée.

Toute chose, autant qu'il est en elle, tend à persévérer dans son être.

Les hommes se figurent être libres, parce qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit et ne pensent pas (…) aux causes par lesquelles ils sont disposés à appéter et à vouloir, n'en ayant aucune connaissance.


Jean-Luc Nativelle 21 mai 2015

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